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LA VICTOIRE

de son moteur, comme étant allemand. Le temps est radieux. Nous reprenons le chemin d’hier et nous descendons dans la Woëvre par Gironville. Lebrun est toujours dans notre automobile et nous parle de la Lorraine en vrai fils du terroir. Grosdidier, Aubert et Catusse, sous-préfet de Commercy, nous suivent dans une autre voiture.

Près d’Apremont, le général Pougin monte dans notre auto. Il est comme ses soldats très joyeux des succès remportés qui, dit-il, n’ont pas coûté cher à sa division. Il n’y a eu que vingt morts et soixante blessés. Varnéville, où nous passons, est détruit et inhabité. Mais à Woinville, rempli de soldats français, il est resté neuf vieilles femmes minables qui nous racontent leurs misères. Les Allemands leur faisaient faire les travaux les plus durs. Ils les forçaient à enterrer les morts. Partout aussi, on nous donne les renseignements suivants : le journal de propagande allemande, la Gazette des Ardennes, était répandu à profusion, mais on ne la croyait pas. Les Allemands disaient tantôt que j’étais mort, tantôt que j’étais prisonnier. Les Alsaciens et les Lorrains au service de l’Allemagne mettaient les habitants en garde contre ces mensonges et les nourrissaient en cachette. Nous nous arrêtons successivement à Buxerulles, Buxières et Heudicourt. À Buxerulles, nous cherchons vainement le maire, M. Philippe. Il est absent ; il a été emmené par les Allemands. Personne ne nous attend. Mais, dès notre arrivée, les habitants accourent en grand nombre et me crient : « Merci ! Merci ! » Les soldats se massent au second plan. À Heudicourt, le bruit de notre arrivée nous a devancés. Le maire et le conseil municipal nous attendent devant la mairie comme en temps de paix. Des officiers se présentent à moi ; des enfants apportent à ma femme des fleurs cueillies dans les ruines. La rose des ruines, comme