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LA VICTOIRE

« Il faut, me dit Clemenceau, que le président de la République soit reçu à Strasbourg avec une certaine solennité. C’est un voyage qui ne peut pas se préparer en un jour. Je crois donc qu’il faut que j’aille seul avec le ministre de la Marine et le ministre de l’Armement recevoir les troupes. Elles ne peuvent pas arriver dans le vide ; il faut qu’elles aillent quelque part. Elles iront à un endroit que je choisirai et je les y attendrai. M. le président de la République viendra officiellement quelques jours après ; c’est du moins mon avis. Si M. le président de la République est d’un sentiment contraire, je m’inclinerai, mais j’aurai fait connaître franchement mon opinion. »

Je vois qu’il veut être seul à recevoir les troupes, les haranguer, être le premier Français à entrer en Alsace, refaire, malgré ses promesses, ce qu’il a fait à Lille. Je réplique : « Votre projet est blessant pour moi. J’exprime le désir formel qu’aucun membre du gouvernement n’aille en Alsace avant le président de la République. C’est pour moi une question de sentiment autant que de devoir. Je ne vous demande pas de m’obéir, je n’ai pas le droit de vous donner des ordres ; mais j’ai le droit d’exprimer un désir et je l’exprime formellement.

— Alors, c’est entendu ; nous partirons donc le 18, mais laissez-moi arranger le voyage. Ne vous en mêlez pas, j’arrangerai tout.

— Je vous laisse toute liberté pourvu que nous fassions le voyage ensemble.

— Entendu.

Et après le Conseil, Clemenceau m’interpelle en riant : « Alors, vous êtes sous ma coupe ? c’est convenu. » Et Nail, à mi-voix : « Ce n’est pas la première fois. »

Après le Conseil, j’envoie le général Duparge m’excuser auprès du cardinal. Mgr Amette est très affecté. Il répond que dans ces conditions, il