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CHAPITRE II


Feuillets de journal. – M. Paléologue désigné pour succéder à M. Delcassé. – La campagne de M. Calmette. – Les « verts ». – Dîner à l’ambassade d’Allemagne. – M. de Wangenheim. – L’amiral de Tirpitz. – L’emprunt turc. – Djavid Bey. – L’Allemagne et les colonies portugaises. – Le commandement à Scutari.


Pendant que M. Gaston Doumergue avait quotidiennement à résoudre les plus graves problèmes de politique extérieure, il était, comme moi-même, obsédé de beaucoup d’autres soucis. Ce n’est pas sans un serrement de cœur qu’après tant d’années écoulées, et quelles années ! je parcours maintenant les notes jetées, aux heures de solitude, sur mes vieux carnets. Comme Silvio Pellico dans le cloître de Santa Margherita, je faisais le mie prigioni au Palais de l’Élysée. Triste maison dont les parties les plus anciennes ne dataient pas de deux siècles et dont la salle la plus récente n’avait pas vingt ans, j’avais beau interroger sa médiocre histoire ; dans ces salons d’une banalité dorée, rien ne parlait à mon imagination. C’est à peine si parfois, au cours d’une rêverie fugitive, je voyais apparaître sur les murs de mon cachot des projections confuses : silhouette de la marquise de Pompadour, fantôme du financier Beaujon, fêtes champêtres du hameau de Chantilly, ménage princier de Murat et de Caroline Bonaparte, pâle