Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/71

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C’est beaucoup pour les salons, c’est peu pour les innombrables Parisiens qui avaient sollicité des invitations. Malgré l’encombrement, beaucoup de gaieté et d’entrain. Tous les ambassadeurs et ministres étrangers sont venus et s’attardent quelques instants auprès de moi. Le comte Szecsen me parle de l’Albanie, dont l’Autriche ne paraît toujours pas se désintéresser. Je lui rappelle qu’en 1912, lorsque j’étais au quai d’Orsay, il avait été chargé par son gouvernement de m’assurer que l’égalité économique et financière serait établie, en Albanie, au profit de toutes les nations. On oublie aujourd’hui cette règle lorsque l’Autriche et l’Italie revendiquent pour elles seules soixante pour cent du capital de la Banque Albanaise. Le comte Szecsen ne peut pas contester la justesse de mon observation et me donne courtoisement à entendre que son gouvernement n’a pas dit son dernier mot.

M. Isvolsky me confie avec un peu d’amertume les appréhensions que lui inspire la retraite de M. Kokovtzoff. Je ne me suis jamais aperçu qu’il l’aimât beaucoup et M. Kokovtzoff ne m’avait pas caché, en 1912, qu’il n’avait pas grande confiance en lui. Mais l’ambassadeur ne peut méconnaître la valeur intellectuelle et morale de l’ancien Président. Il redoute, en outre, que sa démission ne soit le signal d’une réaction. « J’ai été, me dit-il, le ministre des Affaires étrangères de M. Goremykine, nous avons donc de très bons rapports, mais nos vues politiques étaient très différentes. Comme on dit chez vous, j’étais à sa gauche. J’y suis toujours. Je crains qu’une politique réactionnaire n’entraîne bientôt par contre-coup une reprise du mouvement révolutionnaire. On néglige trop, en tout