Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/92

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Bourget l’a plaisanté en lui demandant : « C’est une dame ? — Oui, a répondu Calmette et il a montré la carte de la visiteuse à Bourget.

— « Vous n’allez pas la recevoir ? » a fait celui-ci. — « Mon cher ami, c’est une femme. Comment la pourrais-je éconduire ? » Bourget parti, Calmette a donné l’ordre d’introduire Mme Caillaux dans son cabinet et, presque immédiatement après, on a entendu les coups de revolver. On a emporté le blessé à la maison Hartmann, et il a encore eu la force de dire à ceux qui étaient accourus auprès de lui : « Ah ! mes amis, ma maison, ma pauvre maison !… »

Nous rentrons à l’Élysée avant onze heures et nous apprenons, à l’arrivée, qu’après un moment d’espoir, les médecins ont découvert une balle dans le rectum et constaté une hémorragie mortelle. Pauvre Calmette ! Il s’est gravement trompé dans sa campagne contre M. Caillaux. Il a mêlé à des accusations d’ordre politique, qu’il était de son droit de porter contre un adversaire puissant, un trop grand nombre d’allégations insuffisamment contrôlées. Il s’est laissé entraîner à la publication, vraiment inexplicable, d’une lettre privée et a laissé par là même supposer qu’il en pouvait détenir d’autres. Mais, du moins, il a livré cette ardente bataille à visage découvert et, s’il a trop aveuglément ramassé les armes qu’on lui offrait, il n’a pas, j’en suis sûr, obéi à un autre sentiment que le désir de défendre les idées qui ont toujours été les siennes. Il est mort et je ne me rappelle pas sans un grand chagrin d’anciennes rencontres où, chez des amis communs, artistes ou hommes de lettres, il me témoignait tant de sympathie et de confiance. Du jour où, dans la pensée de ramener au pouvoir