Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/141

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incident il est préférable que le colonel Aldebert ne reste pas en Belgique. Il prendra un commandement aux armées. Le ministre de Belgique à Paris, le baron Guillaume, dont le trouble fait pitié, vient à son tour me voir pour m’entretenir de cette retraite inattendue sur Anvers. Il est surtout ému de l’entrée imminente des Allemands à Bruxelles. Il cherche à savoir ce que j’en pense. Je lui réponds que nous la croyons malheureusement probable et que nous en sommes très affligés pour la population de la ville, qui sera sans doute en butte à des vexations multiples, mais j’ajoute que cette occupation, si pénible qu’elle soit, n’est pas militairement un désastre. L’armée belge a admirablement rempli son rôle en arrêtant les Allemands pendant quinze jours. Il est naturel qu’elle se reconstitue maintenant dans le camp retranché d’Anvers, pendant que les Anglais et nous, nous nous préparons à la grande bataille qui va s’engager sur les frontières.

M. Ferdinand Dreyfus, sénateur de Seine-et-Oise, sous les auspices de qui j’ai, il y a trente-quatre ans, débuté au palais, m’amène un Alsacien qui vient d’arriver à Paris en même temps que l’abbé Wetterlé. C’est M. Blumenthal qui est resté maire de Colmar jusqu’au 31 juillet et que les Allemands ont remplacé, à cette date, comme suspect de trop de sympathie pour la France. Il a réussi à s’échapper par la Suisse. Petit Juif grisonnant, à l’œil vif, à la physionomie intelligente, à la mâchoire énergique, il me dit, en un excellent français, avec cet accent alsacien qui me remue aujourd’hui jusqu’au fond de l’âme, que la première affaire de Mulhouse, si mal conduite qu’elle eût été, a fait grand honneur