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CHAPITRE VI


HÉSITATIONS DANS LE CABINET BRITANNIQUE. — UNE LETTRE AU ROI D’ANGLETERRE. PRÉPARATIFS MILITAIRES DE L’ALLEMAGNE. — NOUVELLES INDIRECTES DE SAINT-PÉTERSBOURG. PREMIÈRE VISITE DE M. DE SCHŒN À M. VIVIANI. — ULTIMATUM DE L’ALLEMAGNE À LA FRANCE ET À LA RUSSIE. — LA MOBILISATION FRANÇAISE. — DEUXIÈME VISITE DE M. DE SCHŒN. — TENTATIVES SUPRÊMES DE PAIX.


Vendredi 31 juillet. — Depuis mon retour, je demeure confiné à l’Élysée. Je préside des Conseils successifs. Je confère avec les ministres qui viennent à mon cabinet. Je lis les informations qu’ils reçoivent et qu’ils me communiquent. Tout ce que je sais, je ne le sais que par eux ; tout ce que je pense, il n’y a qu’à eux que je puisse le dire. Personne ne me télégraphie, personne ne m’écrit, je n’écris à personne. Je n’ai certes à me plaindre d’aucun des membres du gouvernement. Leur chef est pour moi un ami sûr et loyal. Même ceux d’entre les autres qui m’ont combattu dans les Chambres ou au moment de l’élection présidentielle sont aujourd’hui envers moi d’une correction irréprochable et me rendent justice. Il m’est cependant impossible d’être exactement renseigné sur tout. Je ne connais qu’un bref résumé des conversations diplomatiques. Je dois laisser aux ministres responsables toute liberté d’agir ; sinon, je trahirais l’esprit de la Constitution et j’exposerais le pays à l’anarchie gouvernementale. Cette demi-paralysie morale a pour effet inévitable d’augmenter, au fond de moi, la vivacité des émotions, et je me contracte pour les dissimuler, de peur d’ajouter à celles de mes interlocuteurs. Je n’ai d’autres témoins de mes silencieuses inquiétudes que les platanes et les ormes du jardin, les fleurs de la roseraie, les pigeons gris qui picorent dans les pelouses. Une fois ou