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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

sérénité insulaire ce qui se passe sur le continent. Dans son Conseil de ce matin, il a pensé que, pour le moment, il ne pouvait nous garantir sa coopération ; il a manifesté l’intention de s’entremettre pour obtenir, de l’Allemagne et de la France l’engagement de respecter la neutralité belge, mais il a conclu que, pour envisager une intervention, il devait « attendre que la situation se développât ». C’est ce dont nous prévient M. Paul Cambon.

Lorsqu’on relit tous ces documents, on se demande avec stupéfaction comment Mr. Harry Elmer Barnes a pu écrire sérieusement : « Avant juin 1914, il était pratiquement certain que la Grande-Bretagne entrerait en guerre aux côtés de la France et de la Russie contre l’Allemagne. » Il est vrai que Mr. Barnes est coutumier des affirmations téméraires.

À la vérité, jusqu’à la dernière heure, le gouvernement français n’a pas su le parti que prendrait l’Angleterre.

Sans doute, dès le 29, avait été expédié le Warning telegramm, par lequel M. Winston Churchill, premier lord de l’Amirauté, avait averti les commandants d’escadre de se tenir prêts à la guerre ; le 30, la grande flotte avait été concentrée à Scapa Flow ; et, le même jour, M. Churchill avait écrit, en secret, au commandant en chef des forces navales en Méditerranée : « Notre premier souci doit être d’aider la France à transporter ses troupes d’Afrique. » À vrai dire aussi, dans l’après-midi du 29, Grey avait déclaré que, si l’Allemagne et la France en venaient aux armes, l’Angleterre ne pourrait pas rester longtemps à l’écart. Mais ni sir Ed. Grey, ni M. Winston Churchill ne s’étaient engagés officiellement et, du reste, plusieurs de leurs collègues avaient des tendances opposées ou, comme M. Lloyd George, n’étaient pas favorables à une décision trop rapide.

En présence de ces incertitudes, et devant l’insistance que mettaient MM. Paul et Jules Cambon à regarder l’assurance de l’intervention anglaise comme seule capable de retenir l’Allemagne et de prévenir encore une guerre générale, j’ai proposé au Conseil des ministres d’écrire moi-même une lettre personnelle au roi George V. Le gouvernement a approuvé mon idée. Voici en quels termes j’ai rédigé notre appel :

31 juillet 1914. Cher et grand ami, Dans les circonstances graves que traverse l’Europe, je crois devoir communiquer directement à Votre Majesté les renseignements que le gouvernement de la République a reçus d’Allemagne. Les préparatifs militaires auxquels se livre le gouvernement impérial, notamment dans le voisinage immédiat de la frontière française, prennent chaque jour une intensité et une accélération nouvelles. La France, résolue à faire jusqu’au bout tout ce qui dépendra d’être pour maintenir la paix, s’est bornée jusqu’ici aux mesures de précaution les plus indispensables. Mais il ne semble pas que sa prudence et sa modé-