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comment fut déclarée la guerre de 1914

même : « Ce serait le moindre de mes soucis que de trouver un casus belli convenable » ; mais il ne jugeait pas opportune une agression immédiate contre la Serbie parce que, redoutant l’intervention de la Russie, il voulait d’abord augmenter les chances de l’Autriche-Hongrie par un appui certain de Bucarest et de Sofia. Sans tenir compte de cet avis, Berchtold envoie à Berlin, dès le soir du 4 juillet, son chef de cabinet, le comte Hoyos, porteur du mémoire et de la lettre impériale.

À Paris, nous ignorions naturellement cette correspondance secrète et les desseins dont elle contenait l’aveu. L’opinion était encore plus loin de les soupçonner que le gouvernement. Vienne, Budapest, Serajevo, ce sont, pour nombre de Français, des villes qui se perdent dans les brumes du lointain, et les ministres eux-mêmes ont des sujets de préoccupation plus proches que la disparition de l’archiduc. Au Conseil du mardi 30 juin, on parle un peu de l’Autriche ; on parle beaucoup des congrégations.

Je me dédommage de la politique en recevant à dîner, à l’occasion des Salons, les membres des sociétés d’artistes et en passant avec eux, sur la terrasse et dans le jardin, une délicieuse soirée. Puis, recommence la série des fêtes et des cérémonies. Grand prix cycliste à Vincennes. Assistance nombreuse et populaire. Nous sommes au dimanche 5 juillet. Le comte Hoyos est arrivé à Berlin. Mais nul à Paris ne le sait et personne dans cette foule ne pressent la catastrophe qui menace le monde : pas plus moi, qui préside, que les braves gens qui m’acclament. Les nouvelles que nous recevons de l’Est européen sont encore très vagues. Nous sommes exactement renseignés sur ce qui se voit, mais comment nos représentants devinaient-ils ce qui ne se voit pas ? Le 2 juillet, M. de Valicourt, consul de France à Trieste, adresse au Quai d’Orsay un intéressant rapport sur l’arrivée des dépouilles mortelles de l’archiduc et de sa femme. La veille, le dreadnought autrichien Viribus unitis, transportant les deux corps et escorté de plusieurs cuirassés et torpilleurs, a jeté l’ancre dans le port. Dans toute la ville, le long des belles rues aux maisons hautes, sans volets ni persiennes, dont parle Stendhal dans sa correspondance, ce ne sont que tentures de deuil et drapeaux cravatés de crêpe. Le 2, dans la matinée, les cercueils sont débarqués sur le rivage. Quoique italienne de race et de langue, la population de Trieste se presse, respectueuse, sur le parcours du cortège. L’itinéraire est le même que celui qu’on a fait suivre, le 18 janvier 1868, aux restes de l’empereur Maximilien. Sept voitures mortuaires, chargées de plus de deux cents couronnes, précèdent les deux corbillards. Les corps sont déposés à la gare méridionale dans un wagon funéraire, qui, à dix heures du matin, se met en marche sur Vienne. Cinq minutes après, il traverse sans arrêt la station de Miramar, en vue de ce château où, en avril dernier, l’archiduc a si