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CHAPITRE VII


L’ALLEMAGNE DÉCLARE LA GUERRE À LA RUSSIE. — INCURSIONS ALLEMANDES SUR NOTRE TERRITOIRE. — VIOLATION DE LA NEUTRALITÉ LUXEMBOURGEOISE. — RÉPONSE DU ROI D’ANGLETERRE. — REMANIEMENT MINISTÉRIEL. — LA NEUTRALITÉ ITALIENNE. — ULTIMATUM À LA BELGIQUE. — L’ALLEMAGNE DÉCLARE LA GUERRE À LA FRANCE. — DISCOURS DE SIR ED. GREY AUX COMMUNES. — LES SÉANCES DU 4 AOÛT 1914 AU SÉNAT ET À LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.


Nuit du samedi 1er  au dimanche 2 août. — Aucun télégramme de Pétersbourg. Mais, vers onze heures et demie du soir, M. Isvolsky se présente à l’Élysée et demande à me voir d’urgence. Je descends à mon cabinet du rez-de-chaussée et dis à l’officier de service d’introduire l’ambassadeur. M. Isvolsky entre l’air sombre et le visage décomposé. Il m’annonce que l’Allemagne vient de déclarer la guerre à la Russie et, d’une voix qui tremble d’émotion, ajoute : « À une heure aussi tragique, j’ai cru devoir, monsieur le Président, m’adresser au chef de l’État allié pour lui poser une question : « Que va faire la France ? » Et il reste là, devant moi, ne ressemblant en rien, je l’affirme, à l’image légendaire qu’on a souvent donnée de lui depuis sa mort. Loin de se féliciter ou de se réjouir de ce qu’on a appelé « sa guerre », il en est épouvanté. De mon côté, je ne m’attendais point à ce que l’Allemagne accomplît aussi brusquement l’acte irréparable. Dans la douleur qui m’étreint, ce n’est guère, je l’avoue, à la Russie que je pense ; c’est surtout à la France menacée. Je réponds à l’ambassadeur qu’il appartient au gouvernement seul de se prononcer sur la question qu’il m’adresse, que je vais faire convoquer immédiatement les ministres, qu’ils seront, je le suppose, d’avis de tenir les engagements de l’alliance, mais que je crois de l’intérêt de la France et même de l’intérêt de la Russie de retarder de quelques jours l’accomplissement de nos obligations, d’abord parce que mieux vaut pousser plus loin notre mobilisation avant l’entrée en guerre, ensuite et surtout parce que nous préférerions, à tous égards, n’avoir pas à déclarer nous-mêmes la guerre à l’Allemagne et lui laisser le triste honneur de l’initiative.

Je fais appeler les ministres. Ils arrivent très rapidement à l’Élysée,