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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

L’un s’est produit à Delle dans la région de Belfort : à deux reprises, le poste de douaniers français stationné dans notre localité a été l’objet d’une fusillade de la part d’un détachement de soldats allemands.

Au nord de Delle, deux patrouilles allemandes du 5e chasseurs à cheval ont franchi la frontière dans la matinée d’aujourd’hui et pénétré jusqu’aux villages de Joncherey et Baron, à plus de dix kilomètres de la frontière. L’officier qui commandait la première a brûlé la cervelle à un soldat français. Les cavaliers allemands ont emmené des chevaux que le maire français de Suarce était en train de réunir et ont forcé les habitants de la commune à conduire lesdits chevaux.

L’ambassadeur de la République à Berlin a été chargé de protester formellement auprès du gouvernement impérial contre des faits qui constituent une violation caractérisée de la frontière par des troupes allemandes en armes et que rien ne justifie dans l’état actuel. Le gouvernement de la République ne peut que laisser au gouvernement impérial l’entière responsabilité de ces actes. Signé : René Viviani.

Sur plusieurs autres points, cependant, des patrouilles allemandes d’infanterie et de cavalerie prennent plaisir à fouler notre sol. De nouveau, M. Viviani proteste auprès de M. de Schœn, qui avertit loyalement Berlin, et remarque : « Par suite de ces nouvelles, les esprits sont ici très surexcités. »

Devant la répétition éhontée de ces faits, il était impossible au gouvernement français de ne pas croire à un mot d’ordre général. L’État-major allemand a prétendu qu’il n’en était rien et que c’était seulement le 3 août (avant la déclaration de guerre, on est bien forcé de le reconnaître), qu’il avait permis « de pousser le service d’exploration au delà de la frontière ». Mais la simultanéité de toutes ces incursions exclut l’hypothèse d’incidents sporadiques et, du reste, un des cavaliers allemands capturés à Joncherey a déclaré que le lieutenant major avait dit à ses hommes : « Ordre de franchir la frontière. » Les feuilles de mobilisation de la 29e brigade de cavalerie prévoyaient, en effet, l’exécution immédiate de reconnaissances sur territoire français.

En présence de faits qui se révèlent comme systématiques, le général Joffre demande instamment au ministre de la Guerre, dans la matinée du 2, de rapporter l’ordre d’arrêt sur la ligne des dix kilomètres. Le gouvernement préfère encore attendre, et ce n’est qu’après deux heures de l’après-midi que la consigne est levée et que la liberté absolue de mouvements est rendue au général en chef. Encore, le général Joffre, en transmettant cet avis, à 17 h. 30, aux commandants d’armée, prend-il soin d’ajouter, d’accord avec M. Viviani : Pour des raisons nationales d’ordre moral et pour des raisons impérieuses d’ordre diplomatique, il est indispensable de laisser aux Allemands l’entière responsabilité des hostilités. En conséquence, et jusqu’à nouvel ordre, la couverture se bornera à rejeter au delà de la fron-