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comment fut déclarée la guerre de 1914

répond dignement qu’il nous remercie, mais que, dans les circonstances actuelles, il ne fait pas encore appel à la garantie des Puissances. Ultérieurement, nous dit-il, il appréciera ce qu’il y a lieu de faire.

D’après ce qu’a dit sir Ed. Grey à M. Paul Cambon, l’opinion britannique va évidemment se soulever, dès qu’elle connaîtra le défi jeté à la Belgique. Dans un Conseil d’hier soir, et avant même de connaître l’ultimatum allemand, les ministres anglais ont décidé que sir Ed. Grey ferait demain, au sujet de la neutralité belge, une déclaration à la Chambre des communes.

Ce matin, 3 août, M. Paul Cambon nous télégraphie enfin ce que doit dire exactement le secrétaire d’État : Dans le cas où l’escadre allemande franchirait le détroit ou remonterait la mer du Nord pour doubler les Îles britanniques dans le dessein d’attaquer les côtes françaises ou la marine de guerre française, l’escadre anglaise interviendrait pour prêter à la marine française son entière protection (full protection), de sorte que, dès ce moment, l’Angleterre et l’Allemagne seraient en état de guerre. Sir Ed. Grey, ajoute M. Paul Cambon, m’a fait observer que parler d’une opération par la mer du Nord, c’est viser, par là même, une démonstration dans l’océan Atlantique.

Toutefois, sir Ed. Grey demande encore qu’avant de communiquer sa déclaration aux Chambres françaises M. Viviani attende qu’elle ait été faite aujourd’hui lundi, vers quatre heures, aux Communes.

L’Allemagne essaye aussitôt de parer le coup et, dans la journée, son ambassade à Londres adresse un communiqué à la presse pour annoncer que, si l’Angleterre reste neutre, le gouvernement impérial renoncera à toute opération navale et ne se servira pas des côtes belges comme point d’appui. Cette nouvelle nous fait encore regretter davantage que l’opposition de plusieurs membres du cabinet britannique ait empêché M. Asquith et sir Ed. Grey de se prononcer plus tôt. Il est visible que l’Allemagne a grand’peur de l’intervention anglaise et, si elle en avait eu plus vite la certitude, peut-être se serait-elle arrêtée sur la pente fatale.

Mais n’avons-nous plus à craindre aucun revirement ? Vers neuf heures du soir, M. R. Viviani arrive à l’Élysée, en compagnie de M. Doumergue. Un télégramme d’agence vient d’annoncer qu’après le Conseil de l’après-midi les ministres anglais se sont retirés très anxieux. La séance de la Chambre des communes aurait été renvoyée à demain 4 août. Sir Ed. Grey n’aurait pas fait la déclaration convenue. M. Viviani paraît subitement très découragé. Par bonheur, une heure plus tard, tout est changé. L’Havas reçoit un télégramme annonçant que la séance de Westminster a eu lieu et que le secrétaire d’État s’est exprimé comme il l’avait annoncé. Mais la journée du lundi s’achève sans que nous ayons de plus amples détails, et ce n’est que dans la nuit qu’arrivent au Quai