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RAYMOND POINCARÉ

non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique.

Haut les cœurs et vive la France !

Après le message, M. Viviani a lu, au nom du gouvernement, une déclaration plus longue et plus détaillée, où il rappelait, avec émotion et avec force, les événements qui s’étaient succédé depuis le double meurtre de Serajevo. Il insistait particulièrement sur les préparatifs militaires que l’Allemagne avait commencés depuis l’ultimatum autrichien, sur la mauvaise volonté qu’elle avait mise à retenir son alliée, sur les prétextes absurdes qu’elle avait invoqués pour déclarer la guerre. Nous avions consenti à la paix, disait-il, un sacrifice sans précédent en portant un demi-siècle, silencieux, à nos flancs, la blessure ouverte par l’Allemagne. Nous en avons consenti d’autres dans tous les débats que, depuis 1904, la diplomatie impériale a systématiquement provoqués, soit au Maroc, soit ailleurs, aussi bien en 1905 qu’en 1906, en 1908 qu’en 1911. La Russie, elle aussi, a fait preuve d’une grande modération, lors des événements de 1908 comme dans la crise actuelle. Elle a observé la même modération et la Triple-Entente avec elle, quand, dans la crise orientale de 1912, l’Autriche et l’Allemagne ont formulé, soit contre la Serbie, soit contre la Grèce, des exigences discutables pourtant, l’événement l’a prouvé. Inutiles sacrifices, stériles transactions, vains efforts !… Et M. Viviani concluait, au milieu d’applaudissements unanimes : Nous sommes sans reproche. Nous serons sans peur. La France a prouvé souvent, dans des conditions moins favorables, qu’elle est le plus redoutable adversaire, quand elle se bat, comme c’est le cas aujourd’hui, pour la liberté et pour le droit.

Tous les projets de loi déposés par le gouvernement sont ensuite votés dans les deux Chambres sans un mot de discussion, emprunt et crédits supplémentaires, régime de la presse en temps de guerre et diverses autres dispositions urgentes. Après quoi, M. Viviani fait, en quelques mots vibrants, un magnifique appel au pays, et les Chambres s’ajournent d’elles-mêmes sine die. Le gouvernement, qui a ouvert par décret cette session extraordinaire, ne veut pas, par déférence pour le Parlement, en prononcer d’autorité la clôture.

« Belle et bonne journée, écrit M. Maurice Barrès, de tous points parfaite, sommet de la perfection parlementaire. »

Après la séance, les ministres accourent à l’Élysée. Jamais, me disent-ils, ils n’ont vu un spectacle plus grandiose que celui auquel ils viennent d’assister. Tous me répètent à l’envi : « Que ne pouviez-vous être là ? De mémoire d’homme, il n’y a pas eu en France quelque chose de plus beau. »