Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
RAYMOND POINCARÉ

Il est clair qu’à la suite de notre entrée en Serbie la guerre avec la Russie serait très vraisemblable. Le comte Berchtold remplace cette phrase par celle-ci : Il est clair que notre entrée en Serbie pourrait avoir pour conséquence une guerre avec la Russie. Mais, conclut-il, mieux vaut que la rupture se produise dès maintenant, car la Russie devient tous les jours plus puissante dans les Balkans. Tout ajournement serait un aveu de faiblesse qui déconcerterait le gouvernement allié.

Le comte Tisza, président du Conseil hongrois, tient un langage plus modéré. Il reconnaît qu’une guerre contre la Serbie est devenue possible, mais il condamne la théorie de la guerre quand même et il recommande, au lieu d’une attaque brusquée, une action diplomatique préalable.

Le Conseil, bien résolu à en venir aux armes, se résigne à commencer par l’action diplomatique, mais à la condition formelle que cette action consiste dans l’envoi d’un ultimatum et que cet ultimatum soit conçu en des termes très secs et très hautains. Le premier procès-verbal porte : Par suite, il fallait poser à la Serbie des exigences tout à fait inacceptables. On corrige et finalement on écrit : …des exigences tellement étendues qu’elles fassent prévoir un refus et permettent de frayer la voie à une solution radicale, au moyen d’une intervention militaire.

Comme Tisza discute encore, Berchtold lui répond : Un succès diplomatique n’aurait pas de valeur. Le 10, Berchtold dit à l’ambassadeur d’Allemagne, Tschirschky : Si la Serbie acceptait, ce serait très désagréable et je réfléchis aux conditions qu’on pourrait poser à la Serbie pour rendre son acceptation complètement invraisemblable.

Pendant que l’Autriche-Hongrie médite ainsi sa vengeance, l’opinion parisienne, ignorante du danger qui plane déjà sur l’Europe, ne s’intéresse guère qu’à la future session des assises[1].

Les nouvelles de Vienne restent cependant toujours incertaines. Mais aucune menace de conflit ne nous est encore signalée. Le 10 juillet, M. Dumaine écrit, dans une dépêche, qui n’arrivera du reste, à Paris, que le 17 : Si les violences peuvent être contenues, les répressions atténuées, et si le danger pour la Serbie d’une impérieuse mise en demeure se trouve finalement écarté, c’est bien la haute sagesse et la clairvoyance de l’empereur François-Joseph qu’il en faudra louer. Guidés par la volonté de leur souverain, les trois ministres communs et les deux présidents du Conseil qui ont délibéré sur les mesures à adopter ont dû vraisemblablement s’en tenir, tant pour le régime à instituer en Bosnie que pour l’enquête sur les origines du crime, à des projets et des dispositions d’une portée très différente de ce que les exaltés persistent à réclamer d’eux. Le secret, comme on voit, était bien gardé.

Le jour même où M. Dumaine écrivait cette dépêche, le comte

  1. À la suite du meurtre de Calmette par Mme  Caillaux.