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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

permanente se font tous les jours sentir dans l’équilibre du monde. Fondée sur la communauté des intérêts, consacrée par la volonté pacifique des deux gouvernements, appuyée sur des armées de terre et de mer qui se connaissent, s’estiment et sont habituées à fraterniser, affermie par une longue expérience et complétée par de précieuses amitiés, l’alliance dont l’illustre empereur Alexandre III et le regretté président Carnot ont pris la première initiative a constamment donné, depuis lors, la preuve de son action bienfaisante et de son inébranlable solidité. Votre Majesté peut être assurée que, demain comme hier, la France poursuivra, dans une collaboration intime et quotidienne avec son alliée, l’œuvre de paix et de civilisation à laquelle les deux gouvernements et les deux nations n’ont cessé de travailler.

La journée s’achève sans que, de l’Autriche et de la Serbie, M. Viviani et moi, nous apprenions rien de nouveau. Tout ce qu’on peut savoir de Vienne nous montre que, si le gouvernement dualiste n’a pas remis à Belgrade une note comminatoire pour demander compte à la Serbie de l’attentat de Serajevo, ce n’aura pas été faute d’y avoir été invité par la plus grande partie de la presse viennoise. Une véritable panique s’est emparée de la Bourse et les meilleures valeurs autrichiennes ont été emportées par la débâcle.

Mais, sur tout cela, M. Paléologue n’a pas encore reçu communication des intéressantes dépêches de M. Dumaine, en date du 15 juillet 1914. Elles sont à peine arrivées à Paris et je ne les connaîtrai moi-même que beaucoup plus tard. M. Dumaine rapporte les articles enflammés de la presse, les rumeurs insensées qui circulent, l’affolement de l’opinion. Il indique que le pénible débat par lequel ont été révélées au Sénat français des lacunes et des erreurs de notre organisation militaire est mis à profit contre la France. On développe dans les journaux un thème qui se prête aux amplifications faciles : l’impuissance militaire de la France est un avertissement pour la Russie ; la France ne compte plus dans la politique internationale ; la Russie est isolée ; elle fera bien de ne pas prendre trop fortement le parti de la Serbie, s’il est fait à Belgrade une démarche plus ou moins comminatoire. Mais, de cette démarche elle-même, M. Dumaine n’a encore rien entendu dire, et il croit, pour le moment, que le gouvernement austro-hongrois se contentera, sans doute, d’une vague satisfaction d’amour-propre.

Le Ballplatz s’est gardé de faire savoir à M. Dumaine que ce même jour, le 20 juillet, le comte Berchtold vient de se rendre à Ischl auprès de l’empereur François-Joseph et lui a présenté le projet d’ultimatum, que le vieux souverain a gardé pour l’examiner. Le lendemain 21, il va l’approuver sans modification. Sans attendre, du reste, cette approbation impériale, le baron Macchio, directeur politique, envoie, dès le 20, un exemplaire officiel de l’ultimatum au baron Giesl, ministre