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RAYMOND POINCARÉ

réponds : « Ne parlez pas ainsi, de grâce. Il faut tout faire encore pour éviter une guerre. »

De Dunkerque à Paris, pendant tout le trajet du train, dans les villes, les villages, les corons, aux passages à niveau, partout, nous voyons les habitants massés des deux côtés de la voie, et ce sont sans cesse les mêmes saluts, les mêmes vivats, les mêmes vœux de paix, les mêmes promesses de courage et de résignation.

Deux membres du gouvernement, MM. Renoult et Albel Ferry, sont venus au-devant de nous à Dunkerque et rentrent avec nous à Paris. M. Abel Ferry, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, nous dit que, dès le début de la crise, M. Bienvenu-Martin s’est entendu avec ses collègues de la Guerre, de la Marine, de l’Intérieur et des Finances pour que fussent immédiatement prises toutes les mesures qu’une période de tension peut rendre nécessaires. En fait, les permissionnaires ont été rappelés ; les troupes qui se trouvaient dans les camps d’instruction ont rejoint leurs garnisons ; les préfets sont alertés ; tous les fonctionnaires ont reçu l’ordre de rester à leurs postes ; des approvisionnements ont été achetés pour Paris. Bref, on n’a négligé aucune des dispositions qui pourraient, le cas échéant, permettre une mobilisation immédiate.

M. Messimy a lui-même exposé depuis la guerre à M. Raymond Recouly les principales mesures qu’il avait jugé bon de prendre avant notre retour de Russie et les raisons de prudence élémentaire qui l’avaient inspiré. « C’est, déclare M. Messimy, dans la nuit du 25 au 26 juillet que m’arrivent les premières nouvelles inquiétantes. Le service des renseignements du 20e corps m’informe, en effet, que, de l’autre côté de la frontière, certaines garnisons sont consignées ; plusieurs régiments ont reçu des instructions secrètes, et enfin tous les Allemands d’Alsace annoncent la guerre inévitable. Dans toute la matinée du lendemain, le dimanche 26, des télégrammes confirment cette mauvaise impression. Les régiments allemands prennent la tenue de guerre. Les forts de Metz sont occupés ; partout on installe des lignes téléphoniques ; des officiers en automobiles parcourent la frontière, etc. L’ensemble de ces informations ne me laisse aucun doute. Elles me dictent mon devoir… Peu de gens, durant ces premières journées, se rendaient exactement compte de la gravité et même de l’imminence du péril. Le jeu de l’Allemagne ne s’était pas encore dévoilé… Seuls, quelques hommes très bien renseignés, des spécialistes, pouvaient discerner, à travers les mensonges et les réticences de l’Allemagne, l’implacable volonté de guerre qui résidait en elle. » Et M. Messimy énumère à M. Recouly les décisions prises par le gouvernement de Paris en mon absence, dispositif restreint