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Page:Poincaré - L’Invention mathématique, 1908.djvu/14

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Dans cette seconde manière de voir, toutes les combinaisons se formeraient par suite de l’automatisme du moi subliminal, mais seules, celles qui seraient intéressantes pénétreraient dans le champ de la conscience. Et cela est encore très mystérieux. Quelle est la cause qui fait que parmi les mille produits de notre activité inconsciente, il y en a qui sont appelés à franchir le seuil tandis que d’autres restent en deçà ? Est-ce un simple basard qui leur confère ce privilège ? Évidemment non ; parmi toutes les excitations de nos sens, par exemple, les plus intenses seules retiendront notre attention, à moins que cette attention n’ait été attirée sur elles par d’autres causes. Plus généralement, les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité.

On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un véritable sentiment esthétique que tous les vrais mathématiciens connaissent. Et c’est bien là de la sensibilité.

Or quels sont les êtres mathématiques auxquels nous attribuons ce caractère de beauté et d’élégance et qui sont susceptibles de développer en nous une sorte d’émotion esthétique ? Ce sont ceux dont les éléments sont harmonieusement disposés de façon que l’esprit puisse sans effort en embrasser l’ensemble tout en pénétrant les détails. Cette harmonie est à la fois une satisfaction pour nos besoins esthétiques et une aide pour l’esprit qu’elle soutient et qu’elle guide. Et en même temps, en mettant sous nos yeux un tout bien ordonné, elle nous fait pressentir une loi mathématique. Or, nous l’avons dit plus haut, les seuls faits mathématiques dignes de retenir notre attention et susceptibles d’être utiles, sont ceux qui peuvent nous faire connaître une loi mathématique. De sorte que nous arrivons à la conclusion suivante. Les combinaisons utiles, ce sont précisément les plus belles, je veux dire celles qui peuvent le mieux charmer cette sensibilité spéciale que tous les mathématiciens connaissent, mais que les profanes ignorent au point qu’ils sont souvent tentés d’en sourire.

Qu’arrive-t-il alors ? Parmi les combinaisons en très grand