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Page:Poincaré - L’Invention mathématique, 1908.djvu/16

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finiment sans que ces atomes se rencontrent, et par conséquent sans qu’aucune combinaison puisse se produire entre eux.

Au contraire pendant une période de repos apparent et de travail inconscient, quelques-uns d’entre eux sont détachés du mur et mis en mouvement. Ils sillonnent dans tous les sens l’espace, j’allais dire la pièce où ils sont enfermés comme pourrait le faire, par exemple, une nuée de moucherons, ou si vous préférez une comparaison plus savante, comme le font les molécules gazeuses dans la théorie cinétique des gaz. Leurs chocs mutuels peuvent alors produire des combinaisons nouvelles.

Quel va être le rôle du travail conscient préliminaire ? C’est évidemment de mobiliser quelques-uns de ces atomes, de les décrocher du mur et de les mettre en branle. On croit qu’on n’a rien fait de bon parce qu’on a remué ces éléments de mille façons diverses pour chercher à les assembler et qu’on n’a pu trouver d’assemblage satisfaisant. Mais après cette agitation qui leur a été imposée par notre volonté, ces atomes ne rentrent pas dans leur repos primitif. Ils continuent librement leur danse.

Or notre volonté ne les a pas choisis au hasard, elle poursuivait un but parfaitement déterminé ; les atomes mobilisés ne sont donc pas des atomes quelconques ; ce sont ceux dont on peut raisonnablement attendre la solution cherchée. Les atomes mobilisés vont alors subir des chocs, qui les feront entrer en combinaison, soit entre eux, soit avec d’autres atomes restés immobiles et qu’ils seront venus heurter dans leur course. Je vous demande pardon encore une fois, ma comparaison est bien grossière, mais je ne sais trop comment je pourrais faire comprendre autrement ma pensée.

Quoi qu’il en soit, les seules combinaisons qui ont chance de se former, ce sont celles où l’un des éléments au moins est l’un de ces atomes librement choisis par notre volonté. Or c’est évidemment parmi elles que se trouve ce que j’appelais tout à l’heure la bonne combinaison. Peut-être y a-t-il là un moyen d’atténuer ce qu’il y avait de paradoxal dans l’hypothèse primitive.

Autre observation. Il n’arrive jamais que le travail inconscient nous fournisse tout fait le résultat d’un calcul un peu long, où l’on n’a qu’à appliquer des règles fixes. On pourrait croire que le moi subliminal, tout automatique, est particu-