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CRISE ACTUELLE DE LA PHYSIQUE MATHÉMATIQUE

le plus nettement, dans un livre trop peu lu parce qu’il est un peu difficile à lire, c’est Gibbs, dans ses principes de Mécanique Statistique.

Pour ceux qui se placent à ce point de vue, le principe de Carnot n’est qu’un principe imparfait, une sorte de concession à l’infirmité de nos sens ; c’est parce que nos yeux sont trop grossiers que nous ne distinguons pas les éléments du mélange ; c’est parce que nos mains sont trop grossières que nous ne savons pas les forcer à se séparer ; le démon imaginaire de Maxwell, qui peut trier les molécules une à une, saurait bien contraindre le monde à revenir en arrière. Y peut-il revenir de lui-même, cela n’est pas impossible, cela n’est qu’infiniment peu probable ; il y a des chances pour que nous attendions longtemps le concours des circonstances qui permettraient une rétrogradation ; mais, tôt ou tard, elles se réaliseront, après des années dont il faudrait des millions de chiffres pour écrire le nombre. Ces réserves, cependant, restaient tous théoriques, elles n’étaient pas bien inquiétantes, et le principe de Carnot conservait toute sa valeur pratique. Mais voici que la scène change. Le biologiste, armé de son microscope, a remarqué il y a longtemps dans ses préparations des mouvements désordonnés des petites particules en suspension ; c’est le mouvement brownien. Il a cru d’abord que c’était un phénomène vital, mais