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hypothèses cosmogoniques

La nébuleuse de M. du Ligondès, sillonnée en tous sens par des projectiles se mouvant au hasard, ressemble beaucoup au gaz de la théorie cinétique. Peu importe que les projectiles soient de taille très différente, puisque dans un cas ce sont des atomes et dans l’autre des météorites, ou de petits astres. Et cependant la Thermodynamique et la théorie cinétique nous enseignent que les gaz, comme le monde physique tout entier, tendent sans cesse vers l’uniformité. Les lois du hasard et celles des grands nombres tendent à niveler très rapidement les inégalités que le gaz peut présenter, jusqu’à ce que la température et les vitesses deviennent uniformes dans toute la masse. Prenons comme point de départ un système de molécules gazeuses dont les vitesses, au lieu d’être fortuitement réparties, seraient harmonieusement distribuées, de manière à faire une sorte de cosmos pareil au système solaire ; au bout de peu de temps, nous serons retombés dans le chaos, les masses primitivement différenciées se seront confondues en une seule, les vitesses seront de nouveau réparties suivant la loi de Maxwell, qui est celle du hasard. Comment deux mécanismes en apparence identiques ont-ils pu produire deux effets opposés ? La réponse est aisée : dans la théorie cinétique des gaz, on regarde les molécules gazeuses comme parfaitement élastiques, il n’y a rien qui ressemble à une résistance passive, la force vive n’est jamais détruite ; dans l’hypothèse de M. du Ligondès, les corps en se choquant perdent leur force vive, au moins en partie, et la transforment en chaleur ; nous avons vu que c’était là l’origine d’une tendance à la concentration et par conséquent à la différentiation. Nos projectiles peuvent donc subir deux sortes de perturbations ; de brusques déviations causées par l’attraction newtonienne, quand deux masses viennent à se rapprocher sans se toucher, et des chocs physiques. Les premières perturbations, de beaucoup les plus fréquentes, se font sans perte de force vive, elles sont tout à fait assimilables aux chocs des molécules gazeuses dans la théorie cinétique ; elles tendent donc à maintenir le chaos, ou même à le rétablir, et à faire régner partout la loi de Maxwell. Les chocs physiques au contraire entraînent des résis-