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Page:Poincaré - Leçons sur les hypothèses cosmogoniques, 1911.djvu/22

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hypothèses cosmogoniques

rigoureusement exacte, et que la gravitation subit une sorte d’absorption, se traduisant par un facteur exceptionnel. Si on consent à faire cette hypothèse, les conclusions de Lord Kelvin ne s’imposent plus, car nous les avons établies en partant de la loi de Newton ; la Voie Lactée ne serait plus assimilable à une bulle gazeuse dont la densité et la température augmentent vers le centre, mais à ce que nous pouvons voir d’une masse gazeuse indéfinie et homogène, de densité et de température uniforme,

Ce n’est pas tout : le monde de M. Arrhenius n’est pas seulement infini dans l’espace, mais il est éternel dans le temps ; c’est surtout ici que ses vues sont géniales et qu’elles nous apparaissent comme suggestives, quelques objections qu’elles soulèvent d’ailleurs. L’Univers est comme une vaste machine thermique, fonctionnant entre une source chaude et une source froide ; la source chaude est représentée par les Étoiles et la source froide par les nébuleuses. Mais nos machines thermiques ne tarderaient pas à s’arrêter, si on ne leur fournissait sans cesse de nouveaux combustibles ; abandonnées à elles-mêmes, les deux sources s’épuiseraient, c’est-à-dire que leurs températures s’égaliseraient et finiraient par se mettre en équilibre. C’est là ce qu’exige le principe de Carnot. Et ce principe lui-même est une conséquence des lois de la Mécanique statistique. C’est parce que les molécules sont très nombreuses qu’elles tendent à se mélanger et à ne plus obéir qu’aux lois du hasard. Pour revenir en arrière, il faudrait les démêler, détruire le mélange une fois fait ; et cela semble impossible ; il faudrait pour cela le démon de Maxwell, c’est-à-dire un être très délié et très intelligent, capable de trier des objets aussi petits.

Pour que le monde pût recommencer indéfiniment, il faudrait donc une sorte de démon de Maxwell automatique. Ce démon, M. Arrhenius croit l’avoir trouvé. Les nébuleuses sont très froides, mais très peu denses, très peu capables par conséquent de retenir par leur attraction les corps en mouvement qui tendent à en sortir. Les molécules gazeuses sont animées de vitesses diverses, et plus les vitesses sont grandes en moyenne plus le gaz est chaud. Le