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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/147

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les arpents de neige

fance, au maniement du fusil, ménagers de leurs cartouches, manquant rarement leur but, les Bois-Brûlés, les armes à la main, sont de redoutables adversaires. Bientôt, les chevaux, blessés, s’affolèrent. Ils se dressaient debout, refusaient d’avancer ou ruaient et bousculaient les hommes, portant le désordre jusque dans la colonne qui se heurtait de front aux défenses improvisées élevées en hâte pour lui barrer la route. Il devenait impossible de mettre les batteries en ligne. Les troupes faiblissaient. Un désastre était imminent…

Cependant, Henry de Vallonges et Jean-Baptiste La Ronde avaient repris leurs places dans la tranchée, le blessé ayant été évacué avec d’autres sur le village de Saint-Antoine-de-Padoue, à un mille à peine en arrière. La balle avait atteint le jeune homme entre les côtes, un peu à droite, et avait traversé tout le thorax, mais sans léser, semblait-il, aucun organe essentiel. Le cœur était intact, et rien n’obligeait à croire que le poumon fût le moindrement atteint.

À quelques pas de Vallonges, le vieux François, l’œil brillant, la main sûre malgré son âge, tirait sans se presser, avec une précision d’automate, et gardait sur sa figure semi-indienne l’air implacable et résolu d’un homme qui exerce des représailles. Un peu plus loin, Baptiste, impassible, abattait son Anglais à chaque balle, et, tout au long de la tranchée, c’était la même régularité de tir, la même adresse, le même sang-froid. Tout à coup, un crépitement se fit entendre à droite et un peu au-dessus des positions métisses, en même temps que des