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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/164

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propos d’ivrogne

— Je la remplirai tout à fait, homme rouge, lorsque tu auras répondu à une seconde question.

— Toujours des questions ! répliqua le sauvage. Le grand chef a l’esprit curieux : qu’il me laisse d’abord boire !

Et, joignant le geste à la parole, le Cri avala du rhum à gorgées…

— Il ne sera plus capable de prononcer un mot si je le laisse faire ! pensa Dumont en l’arrêtant.

— Laisse-moi boire !

— Ta gourde est presque vide… je vais la remplir à nouveau. Mais réponds d’abord à ceci : en échange de quel service as-tu reçu de l’eau de feu ?

— Ah ! oui… un service… oui… je sais.

— Parle ! que sais-tu ?  ?

— Oui, je sais… un soir… quitté Batoche… lui… le Sang-Mêlé…

— Et où est-il allé ?

— Ah ! cela, secret… mais Loucheux, plus fin qu’un « kekouarkess)… il a deviné… au camp… au camp des soldats de la Mère-Blanche… c’est sûr… ah ! ah !

Dumont l’écoutait, anxieux, retenant presque son souffle… Cet homme divaguait-il ou livrait-il quelque terrible secret ?

Malheureusement, l’ivresse achevait son œuvre. Tout oscillant, l’Indien étendait la main vers sa gourde et, d’une voix rauque :

— Laisse-moi boire ! gronda-t-il.

Comprenant qu’il n’avait plus rien à en tirer, le Bois-Brûlé lui restitua le flacon qui, en quelques secondes, fut vidé jusqu’à la dernière goutte.