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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/215

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les arpents de neige

— Qui encore ?

Le jeune Métis parut hésiter. Enfin, d’une voix sourde :

— Tenez ! M’sieu Henry, v’là le plus dur pour moué. Je crois ben que mon frère, mon aîné, Pierre — eh ben ! je crois qu’y me soupçonne. C’est triste à dire, pas vrai ?… Mais je vois ça, allez ! à ses manières. V’là des semaines qu’y me r’gârde comme on r’gârdrait un mauvais chien…

La voix du cadet vibrait si émouvante, si sincèrement douloureuse dans l’air bleu de ce beau soir, que l’aîné, appuyé contre un arbre, l’oreille au guet, se sentit remué profondément. Ce trouble momentané l’empêcha même de bien saisir la suite du dialogue jusqu’au moment où le Français prononça avec autorité ces mots :

— Allons, mon ami, il faut vous reposer maintenant, et surtout ne plus songer à cette Anglaise… Cela vous fait trop de mal… Prenez donc encore un peu de ce breuvage avant de vous coucher et tâchez de dormir afin d’être dispos quand le moment en sera venu…

— V’s avez raison, M’sieur Henry, car je veux être « paré » à les recevouère, les Anglouais, quand ils accosteront Batoche. Et si y a des « gensses » qui doutent que je suis un vrai Bois-Brûlé, y le verront, de ce coup-là ! Ça, j’en réponds ! Je l’ai promis à Riel, du reste, car j’ai à me faire pardonner d’avouère été si fou !… Ah ! y verront !… y verront !…

Cette fois, Pierre n’y tint plus. Une minute après, il s’en allait à grands pas à travers Batoche, droit