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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/219

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les arpents de neige

la marée soulève une barque… Et il s’en allait maintenant, droit devant lui, dans un besoin de fatigue et de dépense physique ; une surexcitation belliqueuse qu’il tenait de son hérédité sauvage, les yeux brillants, les mâchoires serrées, la joue gauche traversée par la blancheur de sa cicatrice…

Et, soudain, une voix calme l’arrêta :

— Où vas-tu donc si vite, Pierre La Ronde ?

Il leva la tête et s’aperçut qu’il était sur la place de l’église et que le P. Léonard, un des missionnaires les plus aimés des Métis, se tenait devant lui. À la vue de cette face crispée, de ces prunelles luisantes, le religieux eut l’intuition d’un drame intérieur. Il connaissait si bien ces âmes impulsives de Bois-Brûlés, droites, loyales, mais ombrageuses et passionnées. Il dit simplement :

— Tu souffres, mon fils ?

Le jeune homme fit un signe affirmatif.

— Où courais-tu ainsi ?

— Nulle part.

— Moi, je rentre au presbytère… Veux-tu m’accompagner ? Nous causerons.

Au respect, à la confiance qu’inspirait à tous le P. Léonard se joignait en ce moment chez Pierre un besoin de confidence qui n’était pas dans sa nature.

Mais il se trouvait à une de ces heures de la vie où l’amertume déborde l’être et où l’âme meurtrie sent le besoin d’être pansée comme le corps. Il suivit donc le prêtre.

Et lorsque, une heure après, il le quitta, on eût pu lire sur la face du jeune Métis, un peu sévère