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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/302

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deux revenants

— Si fait ! Mais, autant que je te conte tout de suite ma dérouine…

Et, sans plus tarder, en effet, Joseph Lacroix se mit en devoir d’instruire de sa « dérouine », en bon français, de son aventure, son compagnon qui, du même coup, en oublia quelque peu l’objet de sa mission.

L’histoire, il est vrai, était intéressante.

Sans insister — à cause du rôle joué dans ces événements par le fils cadet de Baptiste — sur le but qu’il se proposait en pénétrant dans le camp canadien de Clark’s Crossing, Lacroix fit connaître en détail à son compatriote les suites de son audacieuse entreprise : il allait sortir de l’enceinte en se glissant sous les chariots lorsqu’une sentinelle lui envoya une balle.

Quand il fut en état d’être instruit de sa situation, il sut que, depuis six jours, il était chez les Anglo-Canadiens… Sans doute, ceux-ci eussent-ils fait bon marché de sa vie s’ils avaient pensé avoir affaire à un espion ordinaire, mais certains papiers trouvés sur lui leur ayant permis de croire qu’il pourrait y avoir quelque profit à tirer d’un interrogatoire, ils le soignèrent, quitte à le pendre ou à le fusiller plus tard. Blessé à la tête, Lacroix s’était remis, en somme, assez rapidement, mais, sûr du sort qui l’attendait, il feignit un rétablissement lent et difficile, restant des heures entières plongé dans une sorte de coma, se plaignant aussi d’atroces douleurs, afin de permettre à ses forces d’être suffisamment revenues pour tenter avec quelques chances de succès une évasion.