Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/183

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qu’elle mangeait la veille ne retranchait rien à la nourriture du lendemain.

Et puis, quand elle allait au Neubourg porter le beurre, elle ne manquait jamais de visiter monsieur Courtamblaize, le directeur, le supérieur de la Libre-Pensée et le grand prêtre du baptême civil.

— Eh ben ! votre machine, disait la bossue, ça va-t-i’toujours, monsieur Courtamblaize ?

Lui, un peu vexé qu’on appelât sa « grande pensée » « votre machine » répliquait cependant avec l’aplomb d’un arracheur de dents, profession à qui l’opinion a décerné, on ne sait pourquoi, la palme du mensonge :

— Mais très bien, fort bien, madame Giraud, quoique sa société ne comptât qu’une trentaine d’adhérents, bien que les enfants de la bossue fussent les seuls à bénéficier des avantages du baptême civil.

Ces avantages consistaient dans l’envoi chaque année d’un catéchisme du parfait citoyen et d’un article quelconque de bazar, présents somptueux de Trouillard, l’horloger-parrain.

Cependant Courtamblaize avait réussi à planter quelques jalons dans les villes voisines. Il avait des adeptes à Bernay notamment, ville très réactionnaire qu’il espérait conquérir par la persuasion bien entendu, et inféoder aux idées modernes.

Pour ce, il avait usé d’un truc, suivant son expression, qui réussit toujours et qu’il appelait la vibration patriotique.

La ville de Bernay avait esquissé en 1870, un semblant de défense contre les Prussiens. Ce fait d’armes avait été si minime que presque tous l’avaient oublié. Mais Courtamblaize veillait, lui.

En cette triste année d’invasion, on avait organisé là, comme ailleurs, une garde nationale.

Armée de fusils invraisemblables, composée de guerriers ventrus, de vieux garçons et de très jeunes gens, renforcée par quelques mobiles, elle ne pouvait vraiment opposer qu’une résistance dérisoire.

Et ce furent le père Giraud et ses braconniers embusqués dans les bois environnants qui causèrent le plus de préjudice à l’ennemi.