Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/6

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Il s’empara de deux fagots de genêts destinés à parfaire le toit d’une étable ou d’une maison, et les jeta sur le cerf. Puis il dévala vers la vallée à grands pas.

Dans le lointain, les cloches du village carillonnaient joyeusement, célébrant la naissance de l’Enfant-Jésus, appelant les fidèles à la messe de minuit. On percevait leurs tintements entre les coups de vent qu’accompagnait la longue plainte des chats-huants hurleurs.

Cependant Giraud marchait toujours ; son fusil démonté séchait sous sa blouse, sa casquette était soigneusement rabattue sur ses oreilles, que la gelée avait tout de même un peu mordues, tandis que les gardes de Mme la marquise faisaient une entrée solennelle dans l’église, dont les cloches toujours sonnaient, sonnaient toujours à toute volée.

— Estelle ! Estelle ! Dors-tu ?

— C’est toi, Giraud ?

— Eh oui, c’est moi.

— Feignant, l’froid t’a fait revenir !

— Mais non ; dépêche-toi de te lever. Y a du nouveau.

Une femme, petite et tordue de dos ; une chandelle de suif fumeuse à la main, vint ouvrir la porte d’une maison couverte de chaume, sorte de hutte dont les murs en terre jaune étaient troués par les crevasses.

— Tu sais, dit le braconnier, tu sais, Estelle, le vieux rusé…

— Eh ben quoi, le vieux rusé, il t’a encore joué le tour ?

— Vrai, c’était pas trop tôt, t’as raison, c’était pas trop tôt que je lui règle son compte. Il est dans le grand fossé du val Monnier.

— C’est pas des menteries, mon homme ?

Mon homme ! elle prononça ces deux mots avec une fierté intraduisible.

Car c’était « son homme », sa chose, ce grand gaillard qui atteignait presque six pieds, et tremblait devant cette petite femme à l’échine montueuse.