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Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/232

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Ce n’est pas qu’adoptant un système fatal Je rende au despotisme un hommage vénal Que j’accorde à des rois ce que Dieu leur refuse, Ni dans leurs attentats que ma voix les excuse. Non : je connais trop bien leurs devoirs différens. Je hais la tyrannie et je plains les tyrans. Mais si le droit divin, mais si les lois humaines Contre leurs passions sont des barrières vaines, Si jusqu’en ses foyers l’innocent craint pour lui , N’est-il donc pas contre eux de légitime appui, Des règles que le ciel , que la nature aient faites , Des juges dont le soin... Ce n’est pas vous qui l’êtes, Soldats, peuples, ni grands, prêtres, ni magistrats : Le serment de vos cœurs enchaîne aussi vos bras. Qui détrône les rois bientôt les assassine. Périsse pour toujours l’exécrable doctrine Qui de l’oint du Seigneur combattrait le pouvoir, Et d’un crime d’état ferait un saint devoir ! Des maîtres que le ciel établit sur nos têtes , La chute ou les revers sont pour nous des tempêtes ; La sûreté publique à leur sort nous unit • Dieu seul, quand il le veut, les juge et les punit. Mais ceux que la pitié ni la gloire ne touche , Les tyrans, en un mot, apprendront par ma bouche Qu’ils n’ont, après leur mort, ni sujets, ni flatteurs, Que leurs propres enfans leur refusent des pleurs, Que la postérité , que les temps et l’histoire , A l’opprobre , à l’horreur consacrent leur mémoire ; Que tel est leur destin dans ce séjour mortel ; Mais qu’il est d’autres maux dans l’abîme éternel : Qu’ils y trouvent un Dieu terrible , inexorable , Les cris de l’opprimé , les pleurs du misérable , Le sang des nations follement répandu Pour un droit chimérique , ou trop mal défendu , Les crimes qu’ils ont faits, ceux qu’on lit pour leur plaire, Les imprécations contre un règne arbitraire, L’accablant souvenir de ce qu’ils ont été , Et des méchans entre eux l’affreuse égalité. Épouvantable fin d’une illustre carrière î De quoi leur a servi cette majesté fière , Tant de gardes armés , tant de pompe et d’orgueil ? Le sceptre est un fardeau, lé trône est un écueil. Il n’est rien qui du peuple écarte les injures. Souvent le meilleur prince a causé des murmures. Que n’exigeons-nous pas , impérieux sujets ! Des talens, des vertus, et même des succès. Vous dont le cœur est droit, l’âme tranquille et saine, Parcourez les devoirs de cette vie humaine , Observez bien les rois , et vous direz : hélas ! Trop heureux qui sait l’être ; heureux qui ne l’est pas !


LA MORT DE J.-B. ROUSSEAU.

 
Quand le premier chantre du monde
Expira sur les bords glacés,
Où l’Ebre effrayé dans son onde
Reçut ses membres dispersés,
Le Thrace errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs :
Les champs de l’air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent,
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée ;
Muses, dans ces moments de deuil,
Elevez le pompeux trophée
Que vous demande son cercueil :
Laissez par de nouveaux prodiges,
D’éclatants et dignes vestiges
D’un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert du laurier fertile
Qui par vos soins ne meurt jamais.

D’une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd’hui les fers,
Et loin du ciel de sa patrie,
La mort termine ses revers.
D’où ses maux ont-ils pris leur source ?
Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas ?
Quels ennuis ! Quelle vie errante,
Et quelle foule renaissante
D’adversaires et de combats !

Vous, dont l’inimitié durable
L’accusa de ces chants affreux,
Qui méritaient, s’il fût coupable,
Un châtiment plus rigoureux ;
Dans le sanctuaire suprême,
Grâce à vos soins, par Thémis même
Son honneur est encore terni.
J’abandonne son innocence ;
Que veut de plus votre vengeance ?
Il fut malheureux et puni.