Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/289

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En soupirant verse encore des pleurs,
Revoit son astre, et reprend ses couleurs.
Souvent l’humeur d’une maîtresse altière
Fait d’un reproche une rupture entière.

Je n’ose aussi prescrire à deux amants
L’art dangereux des raccommodements.
Pour ranimer un feu que le temps glace,
Paroissez craindre un coup qui vous menace.
Le sentiment, foible, éteint à moitié,
Renaît bien vite aux pleurs de la pitié.
Je le redis enfin : que le mystère
Soit à l’amour un rempart salutaire.
Ce dieu sera vainqueur de tout effort
S’il s’y retranche, et vaincu s’il en sort.
Qu’à pas comptés la sûreté vous guide ;
Au bout du monde est le palais d’Armide :
Et quand l’amour vole au sein de Psyché,
C’est un désert où l’amour est caché.
Tel est, Daphné, l’encens que je t’adresse ;
Je dis mon culte, et voile ma déesse.
Sous un nom feint le tien est adoré,
Et de nos feux l’asile est ignoré.
Pour y tracer la volupté suprême,
Je te peindrai, toi, la volupté même.
Accourez tous, amants faits pour m’ouïr :
J’ouvre les cieux, et j’enseigne à jouir.


CHANT TROISIEME


 Vénus, ô toi, déesse d’Epicure,
Ame de tout, qui remplis la nature,
Qui, mariant tant d’atomes divers,
D’un nœud durable enchaînes l’univers ;
C’est toi qui vis dans tout ce qui respire :
Mais c’est dans l’homme où siège ton empire.
Tu descendis au terrestre séjour
Pour l’animer du sympathique amour.
Il est des sens émanés de ta flamme,
Trésors de l’homme, organes de son ame,
De sa jeunesse aimables enchanteurs,
Et de l’amour rapides inventeurs.
Ces rois de l’homme ont un roi qui les guide,
Et sur eux tous c’est l’instinct qui préside.
Sœur de l’instinct, la curiosité
Devant ses pas fit briller sa clarté,
Leva son voile entr’ouvert à mesure,
Guida ses pas tournés vers la nature,
Et, par degrés ménageant ses désirs,
Pour tous les sens trouva tous les plaisirs.
Pour ces plaisirs qu’on blâme et qu’on adore
L’antique erreur a condamné Pandore,
Lorsqu’apportant le bonheur en son sein
Des passions elle enfanta l’essaim.

L’homme, avant elle et sans ame et sans force,
D’aucun penchant ne connoissoit l’amorce ;
Séché d’ennuis, de langueurs consumé,
Obscur, rampant, vivoit inanimé,
Réduit, sans voir, sans jouir, sans connoître,
Au froid plaisir de végéter et d’être :
Par ses trésors que le ciel dispensa,
L’homme eut une ame, il sentit, et pensa.
Mais c’est l’amour, source heureuse et féconde,
Qui de ces dons fut le plus cher au monde.
S’il eut alors des succès éclatants,
Si l’art d’aimer fut le même en tout temps,
L’art de jouir augmenta d’âge en âge.
Le goût, les mœurs, la culture, l’usage,
À ses plaisirs prêtèrent mille attraits :
À Suze, à Rome, on sentit ses progrès :
Quel fut l’amour de Tarquin, de Clélie,
Près d’une nuit d’Octave et de Julie ?
Toujours utile aux plaisirs amoureux,
Le luxe a fait le siècle des heureux.
La terre entière, aujourd’hui sa patrie,
A mis son sceptre aux mains de l’industrie.
Dieu des talents, du travail et des arts,
Tout vit par lui, tout brille à ses regards.
Mille vaisseaux élancés des deux mondes
Sont ses autels qui flottent sur les ondes,
Pour apporter, plus prompts que les désirs,
D’un pôle à l’autre, un tribut aux plaisirs.
Il est le dieu des fêtes d’Idalie :
Avec l’amour ce dieu charmant s’allie,
Dore ses traits, prépare son encens ;
Dans une fête il réveille les sens ;
Sur des coussins il endort la mollesse ;
Son opulence invite à la tendresse ;
Ses dons vainqueurs soumettent la fierté,
Et sa richesse embellit la beauté.
Sans lui pourtant, riche assez de lui-même,
L’amant heureux jouit de ce qu’il aime ;
Et j’établis dans nos tendres désirs
Le sentiment base de tous plaisirs.
La volupté, profonde, inaltérable,
Dans l’ame seule a sa source durable.
L’ame, écartant le terrestre bandeau,
De Prométhée allume le flambeau,