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SAINT-LAMBERT.

Elle s’offre à tes yeux sans parure et sans voile :
Tous ses traits sont charmans ; il faut les peindre tous.
Mais je crains pour ton cœur le pouvoir de ses charmes.
Ah, seigneur ! soyez sans alarmes :
D’une esclave dans l’Inde autrefois amoureux,
Je touchais, dit Apelle, au moment d’être heureux ;
Le Scythe sur ces bords ayant porté ses armes,
Nous sépara sans doute pour jamais ;
Mais rien ne pourra désormais
L’effacer de mon cœur, ni suspendre mes larmes.

Il dit, part et revient. Un soleil radieux
Éclaire le salon où Campaspe est entrée,
Et le jour éclatant de la voûte azurée
Semblait à ce spectacle inviter tous les yeux.
Contemple, dit le roi, ce que j’offre à ta vue :
Admire, peins, tu ne flatteras pas.

Les yeux baissés, Campaspe nue
Rougit, tourne la tête, et n’ose faire un pas.
Elle tient sur son sein une main étendue ;
Et l’autre en descendant, couvre d’autres appas.

Ah ! que vois-je ! s’écrie Apelle,
Je ne me trompe point, c’est elle-même, 6 dieux !.,
Ses regards languissans errent long-temps sur elle.
Ils vont de son rival interroger les yeux,
Il y voit du plaisir, il frissonne, il soupire :
Une injuste fureur et le plus tendre amour,
La joie et la douleur l’agitent tour à tour ;
Il gémit, il adore, il déteste, il désire.
Elle lève les yeux, reconnaît son amant,
Jette un cri, soupire et recule,
Regarde Apelle tendrement,
Voit son danger et dissimule.
Ces soupirs d’un cœur enflammé,
Ces cris sont entendus ; Apelle a vu qu’on l’aime :
Ah ! dit-il, mon rival, au sein du plaisir même,
Est moins heureux que moi, puisqu’il est moins aimé.
Campaspe, vis-à-vis d’Apelle,
Voudrait ne se montrer qu’aux yeux de son amant.
Mais Alexandre est auprès d’elle,
Et veut la voir à tout moment
Dans une attitude nouvelle.
Sur les charmes les plus secrets,
Il porte quelquefois une vue inquiète ;
Mais la toile est placée, et les pinceaux tout prêts ;
Et malgré sa douleur secrète,
Le peintre a commencé de dessiner les traits.

A mon malheur, dit-il, j’ajoute cncor moi-même ;
Je vais à mon rival préparer des plaisirs ;
Je vais multiplier l’objet de ses désirs :
Sous ses yeux, en tout temps, il aura ce que j’aime :
Et moi toujours contraint par de cruels égards,
Je cacherai loin d’elle et mes pleurs et ma rage.
Plus tendre que prudent, il portait ses regards,
Chaque instant sur l’objet, rarement sur l’ouvrage ;
Et mille fois le bras vers la toile étendu,
S’arrête et tient en l’air le pinceau suspendu.
Les yeux étincelans, auprès d’elle Alexandre
A peine à commander à ses sens irrités ;
Il couvre de baisers un sein et des beautés
Que Campaspe, en tremblant, veut et n’ose défendre :
Contre les attentats d’un maître impérieux
Campaspe invoque tous les dieux,
Jette sur son amant le regard le plus tendre ;
Le voit pâlir et détourner les yeux :
Elle s’élance entre les bras d’Apelle.
Tous deux, fondant en pleurs, tombent aux pieds du roi
C’est là cette esclave si belle
Qui sur les bords de l’Inde avait reçu ma foi.
Apelle à son rival n’en dit pas davantage.
Campaspe veut parler ; la crainte et les sanglots
A sa voix affaiblie ont fermé le passage.
Le visage attaché sur les pieds du héros,
Ils pressent ses genoux de leurs mains défaillantes :
Ils lèvent jusqu’à lui leurs paupières tremblantes,
Et lisent dans ses yeux sa jalouse fureur ;
Peut-être dans leur sang va-l-elle être assouvie.
Ils remplissent d’amour ces momens de terreur,
Et se donnent du moins les restes de leur vie ;
Ils se tendent leurs bras que la crainte a glacés,
Et, baignés de leurs pleurs, se tiennent embrassés.

Alexandre, long-temps spectateur immobile,
Laisse errer ses regards sur eux ;
Il paraît méditer sur leur état affreux,
Et conserver une fureur tranquille.
Mais, son front tout à coup devenu plus serein,
Il se penche vers eux, et leur tendant la main :
J’ai tout vaincu, dit-il, je me vaincrai moi-même.
Apelle, en te l’ôtant, je n’en jouirais pas :
L’image de tes pleurs me suivrait dans ses bras ;
Campaspe dans lesmiens plaindrait l’amant qu’elle aime.


ÉPÎTRE A M. LE P… DE B…

Je revois donc les bords où le ciel m’a fait naître :
Là, j’ai vu comme un jour passer mes premiers ans :
Charmé de voir, d’agir, d’entendre, de connaître.
C’est là que j’essayai ma pensée et mes sens,
Et m’assurai du plaisir d’être.