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Page:Pontmartin - Nouvelles semaines littéraires, 1865.djvu/102

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poétique, un art, une politique, une morale, qui débordent de toutes parts, et, finalement, brisent toutes les lois de la raison et du goût, comme une liqueur corrosive brise un vase trop plein. Par malheur, chaque goutte de cette liqueur capiteuse s’épanche au dehors, se multiplie en s’épanchant, et va griser une foule d’intelligences trop bien préparées, hélas ! à en goûter la saveur excitante, à en exagérer l’ivresse. Voilà, selon nous, le caractère définitif et suprême de ce livre des Misérables, qu’on lit avec passion, qu’on admire avec colère, qui prête à l’enthousiasme, à la stupeur, au sarcasme, à l’épouvante, à l’éclat de rire, et dont les admirateurs déploient, sous une forme plus démocratique et plus rude, les mêmes intolérances que les spectateurs de Hernani. Voilà l’impression profonde et douloureuse qu’il nous laisse. C’est, nous dit-on, l’œuvre coupable d’un génie fourvoyé ; oui, mais c’est surtout l’œuvre contagieuse d’un génie malade. Gardons-nous pourtant de tout ce qui ressemblerait à l’invective ou à l’anathème ! Nous aussi, quand la passion nous égare, nous commettons, sans avoir la même excuse, nos erreurs et nos fautes. Humilions-nous donc au lieu de maudire ! Dieu, ce Dieu des chrétiens, que M. Victor Hugo méconnaît tout en l’invoquant, fera à chacun sa part. Nos âmes sont moins remplies de misères que ses mains ne sont pleines de pardons.