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SOUVENIRS D’UN VIEUX CRITIQUE

prochent sur un point : le culte du superflu aux dépens du nécessaire ; un penchant à se créer, dans le monde moral, un absolu, inflexible à l’égard d’autrui, complaisant envers soi-même. On aurait bien étonné l’immortel démissionnaire de 1804, si on lui lavait dit que, malgré ses sacrifices à l’honneur, il avait, en somme, fait plus de mal à la Royauté et au pays que l’homonyme de toutes les apostasies. Peut-être aurait-on moins surpris madame Sand en lui demandant si ses vertus étaient plus bienfaisantes que les vices de M. de Talleyrand.

C’est sous un autre aspect que je me figure, d’après des renseignements que je crois vrais, le Talleyrand historique. Dès le début, victime de sa haute naissance, de son infirmité naturelle et de sa vocation forcée, il personnifie les abus de l’ancien régime, combinés avec l’esprit du dix-huitième siècle et les approches de la Révolution. Ses rancunes de prêtre et d’évêque malgré lui en font d’abord un réfractaire, puis un déclassé du sacerdoce et de l’épiscopat. Peut-être garde-t-il au fond de son âme un reste de foi dont il ne se doute pas lui-même : mais sur ce fond bien obscur passent, comme une onde turbulente, prompte à effacer des lettres écrites sur le sable, les dissolvants voltairiens, le voluptueux libertinage des contemporains de Parny, les curiosités d’une intelligence merveilleusement aiguisée, les vertiges de la Terreur, les dévergondages du Directoire, les éblouissements du Consulat, tout ce qui pouvait donnera cet illustre et trop spirituel défroqué l’envie de croire que, puisqu’il