Page:Pottier - Chants révolutionnaires.djvu/18

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C’est de cet autre côté maintenant qu’il faut tourner ses regards et sa pensée — du côté de la grande armée anonyme que le capital accule dans la famine et dans la mort.

Laissez là les porteurs d’armure et les traîneurs de tonnerre ; on a assez léché leurs éperons ! Parlons de l’atelier et non de la caserne, ne flattons pas la croupe encore fumante des canons, mais escortons de nos clameurs de pitié ou de colère ceux que la machine mutile, affame, écrase, — ceux qui ne peuvent plus trouver à gagner leur pain, parce que leur métier est perdu ou parce qu’on les trouve trop vieux quand ils demandent, comme une aumône, le droit de crever à la peine !

Pottier, mon vieil ami, tu es le Tyrtée d’une bataille sans éclairs, qui se livre entre les murs d’usine calcinés et noirs, ou entre les cloisons des maisons gâtées, où le plomb à ordures fait autant de victimes que le plomb à fusil !

Reste le poète de ce monde qui ne fait pas de tirades et se drape dans des guenilles pour tout de bon, et tu auras ouvert à la misère murée un horizon et à la poésie populaire un champ nouveau.

Elle est là, cette poésie, sous la casquette du vagabond qui finira au bagne, ou sous la coiffe honnête de la mère qui n’a plus de lait pour nourrir son petit : crime et détresse se coudoient dans la fatalité sociale. Crie cela aux heureux ! et jette, comme des cartouches, tes vers désolés dans la blouse de ceux qui, las de subir l’injustice et le supplice, sont gens à se révolter, car ils ont besoin qu’on les encourage et méritent qu’on les salue pendant qu’ils combattent et avant qu’ils meurent !

Jules Vallès.