Page:Pottier - Chants révolutionnaires.djvu/75

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La nuit est dure aux mansardes ;
Pas de soupers réchauffants ;
La mère en vain de ses hardes
Couvre le lit des enfants.
Les petites créatures
Hier ont bien grelotté.
Dire que nos couvertures
Sont au mont-de-piété !

L’autre hiver, mon cœur en crève,
J’ai perdu le tout petit ;
C’est rare qu’on les élève
Quand la mère a tant pâti.
Avant peu, je dois le craindre,
Nos deux jumeaux le suivront…
Après tout, les plus à plaindre
Ne sont pas ceux qui s’en vont !

Combien, chargés de famille,
Qui boivent pour s’étourdir !
Mon aînée est une fille,
J’ai peur de la voir grandir.
Dieu veuille qu’elle se tienne,
Car, à seize ans, pour un bal,
Pour une robe d’indienne,
Une enfant peut tourner mal !

Je ne veux plus, quand je marche,
Le soir, passer sur le pont,
À l’eau qui gémit sous l’arche,
Quelque chose en moi répond :
Dans ton gouffre noir, vieux fleuve,
Est-ce l’homme que tu plains ?