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XVIII


L’ancien maître d’école de Tadoussac errait entre les maisons grises, sur l’étroite bande du pavage, en quête du chemin à suivre. Ses regards semblaient chercher, devant et derrière lui, une chose essentielle qui lui manquait. Paul se défiait de lui-même, en campagnard que gênait l’ambiance nouvelle et qui redoutait de se trouver pris dans un réseau de choses angoissantes et ignorées. Il appréhendait les maladresses possibles, ces hasards humiliants, ces incidents ridicules dont la hantise est fréquente chez ceux que le sort malmène… Déjà il se sentait mortifié de l’antipathie de la grande ville à son égard. Il croyait voir dans le regard des hommes qu’il rencontrait un parti pris d’indifférence contre lui, à moins que ce ne fût de la dureté soupçonneuse. La grâce des femmes le ravissait ; il les contemplait à la dérobée et rougissait de son peu de prestige. Elles passaient, hautes et fières, sans même jeter un regard sur lui. Il pensait alors à l’aimée, à celle qu’il était venu voir de si loin ; serait-elle de celles-là ?… Qui sait, si dans son milieu, elle n’est pas redevenue la mondaine ? Ne rougirait-elle pas de lui si par hasard elle le rencontrait soudain ? À ces pensées, sa figure s’imprégnait d’une grande tristesse, cette tristesse des mécomptes douloureux,