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L’APPEL DE LA TERRE

saisi la bête par la bride et s’était éloigné comme soulagé d’une grande douleur, laissant Jeanne seule dans ce petit coin d’espace où avaient frémi deux paroles d’amour.

Ils se revirent ensuite souvent et ils s’aimèrent.

De longs mois après, quand Paul eut fini ses études, et qu’il eut été chargé d’instruire les vingt-cinq gamins et gamines qui barbottaient sur les grèves de Tadoussac, il avait embrassé Jeanne en lui faisant jurer d’être, un jour, sa femme. La jeune fille n’avait pas hésité à donner son serment au « monsieur » qu’était devenu Paul Duval. Lui et elle, depuis ce moment, avaient senti de jour en jour grandir leur amour. Quand Jeanne se trouvait en la présence du jeune homme, la pauvre petite avait la certitude d’avoir donné son cœur à un héros, à un être mystérieux.

Et c’est à la naissance de cet amour, à ses naïfs développements que le jeune magister songeait pendant qu’il cheminait, alerte et guilleret, dans la mélancolie de ce beau soir, l’oreille remplie de la musique des batraciens…

Pour arriver plus vite, il avait pris à travers champs ; l’air sentait le foin coupé et les grenouilles continuaient de psalmodier leurs litanies.

Jeanne était l’unique enfant de Jean Thérien, menuisier du village, pauvre homme resté veuf alors que Jeanne n’était que fillette, et il n’avait que ses deux bras et ses outils pour toutes ressources. Jeanne faisait quelques travaux de couture et l’on vivait bien.