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L’APPEL DE LA TERRE

chassèrent de son esprit une subite et folle pensée à laquelle, du reste, il n’avait pas osé s’arrêter… Le souvenir de Jeanne, la douce fiancée des Bergeronnes, acheva de remplir son âme, un instant assombrie, d’une émotion délicieuse.

« Non, » se dit-il, en embrassant d’un long regard, et le fleuve et la baie et les monts, « non, il vaut mieux rester ici… parmi les vieux souvenirs… parmi les morts. »

Et comme il retournait vers le village, il réalisa tout-à-coup que son esprit irréfléchi, traversé de ces mélancolies vagues où se mêlaient tant de désirs d’inconnu, serait peut-être plus tard, secoué d’orages subits…

Quand Paul rentra au village, les dernières lueurs du couchant teintaient de rose la maison de la mère Thibault.

La mère Thibault tenait maison de pension à Tadoussac et, pour la minute, Paul était son seul pensionnaire ; aussi, l’entourait-elle de tous les petits soins d’une mère. Sa maison était voisine de l’école. Dans le pays, la mère Thibault passait, peut-être non sans raison, pour le seul cordon-bleu digne de ce nom, et les ragoûts de mouton aux tomates étaient une spécialité de la maison qui avait une réputation sur toute la côte. La mère Thibault se faisait fort, comme dans toutes les hôtelleries de cette nature, de servir les repas à toutes les heures ; mais la vérité nous oblige de dire qu’elle ne les servait qu’aux heures ordinaires, très régulièrement, et le malheureux retardataire courait toutes les chances du monde de