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la baie

Pour ceux de ce temps-là, le village était considérable. À dire vrai, il ne manquait plus que le curé. Mais on venait au monde quand même, faut croire, sans lui, puisque en même temps que moi, lors d’un voyage du missionnaire, on faisait baptiser trois autres marmots, un de quatre mois, un autre de dix et le troisième de deux ans. Mais ceux-là, je vous assure, ne se souviendraient de rien s’ils vivaient encore ; car ils sont morts au jour d’aujourd’hui puisque me voilà le seul survivant de ce temps-là. J’ai même appris par plus tard que voilà deux mois, que celui qui avait deux ans quand il a été baptisé en même temps que moi, était mort l’année dernière âgé naturellement de soixante-dix-sept ans. Je l’avais perdu de vue depuis plus de cinquante ans alors qu’il était parti de la Grande Baie pour les comtés du sud de Québec, où il s’était fait, paraît-il, entrepreneur de chemins et ponts. Il s’appelait Ubald Dufour.

Je dois vous dire qu’étant né huit mois après l’arrivée de mes parents à l’Anse Saint-Jean où ils s’étaient arrêtés alors qu’ils étaient en route pour la Baie, que mes parents étant partis de l’Anse Saint-Jean pour la Baie un an après ma naissance et que le missionnaire étant venu à la Baie deux ans après notre arrivée, cela explique que je ne pus être baptisé qu’à l’âge d’à peu près quatre ans. C’est clair. Il n’y a pas de honte dans ça.

Je vous assure que ce fut un gros événement que mon baptême, dans la concerne. Tout le monde était sur pied et en dimanche. La chapelle n’avait pas de cloche, comme vous pouvez croire, et pour appeler les gens des campes à la cérémonie, on avait attaché par une ficelle à une grosse branche d’un merisier une scie ronde en acier que celui qu’on avait nommé bedeau de la paroisse frappait à tour de bras avec un rondin de bouleau. J’ai jamais eu à entendre, dans la suite, un son aussi beau, aussi fort. S’il y avait eu du monde de l’autre côté de la Baie on aurait