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la baie

« Mais ça presse pas, ça ».

Mon père répliqua :

« Il vaut mieux se marier jeune quand on veut rester sur la terre. On s’établit plus vite comme ça. Tu veux pas, je suppose, t’en aller, comme tant d’autres, aux États-Unis ? »

Dans ce temps-là, il y avait dans le Bas-Canada une véritable maladie pour les États-Unis. On partait, tous les jours, par familles, même de Charlevoix où on avait pourtant de belles terres. Nous avions des parents qui étaient rendus là depuis que nous étions à la Baie. On nous disait qu’on gagnait dans le Maine et dans le Vermont des gages terribles. Les jeunes gens des paroisses surtout s’en allaient, et les terres, quand elles n’étaient pas complètement abandonnées pour plusieurs années pendant lesquelles elles s’appauvrissaient, manquaient de bras pour les cultiver. Mon père avait horreur de ça et j’ai hérité de bonne heure, je crois, de ce sentiment-là. Le jour que je me suis mis à aimer notre terre de la Baie autant que j’aimais mon Blond, je me suis mis aussi à me fâcher contre mes amis de Saint-Alexis ou de Saint-Alphonse qui parlaient souvent, dans nos veillées de jeunesses, d’aller aux États. Je m’accordais bien avec ma blonde à ce sujet car elle ne voulait pas entendre parler des garçons qui pensaient tout le temps aux États-Unis.

Aussi vous me croirez aisément quand je répondis à mon père :

« Les États, jamais ; quant au mariage, on verra ».

Les États-Unis, non ! Que c’est donc une pitié que de quitter sa terre et sa paroisse quand ni l’une ni l’autre ne nous ont jamais fait de mal ! Et j’en ai tant vu, dans ma carrière, faillir à l’amour des champs, au plaisir des travaux durs mais pas désagréables, et si sains, des labours, des semences, des récoltes, mêmes ceux de la terre neuve où il y a aussi