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la baie

Ah ! que j’aurais donc voulu donner une bru à Ernestine.

Je n’ai pu me retenir de lui dire un jour : « Écoute, sa mère, à ce train-là, tu vas te faire mourir. Il faut qu’on ait une fille engagère ».

Mais Ernestine ne voulait pas entendre parler d’une étrangère dans la maison. Elle aimait mieux se morfondre. Une bru, elle aurait été bien contente d’en recevoir une ; c’est de la famille. Mais pas de ces engagères qui brisent tout dans la maison, qui cassent la vaisselle, qui écorniflent tout ce qui se dit et s’en vont ensuite colporter chez les voisins ce qu’elles ont vu et entendu. Non, pas de ça ! Pourtant, ma pauvre vieille ne pouvait faire longtemps au train qu’elle allait.

J’ai eu une idée, un bon soir.

Ernestine et moi, nous étions assis sur la galerie. C’est là que l’été, chaque soir, avant de nous coucher, nous tirions nos plans pour le lendemain et aussi pour les autres jours ; dans la journée, travaille ici, travaille là, on n’avait pas le temps de se dire deux mots de suite. Chacun allait de son côté, et hurrah donc ! Berdasse…

Joseph était parti, aussitôt après le souper, monté sur quatre épingles, étrennant des bottines et une cravate neuves, pour aller à une veillée de jeunesses à Saint-Alphonse. L’air était calme comme dans une cave tout alentour du village. La Baie reluisait à la lune qui se montrait au-dessus du Cap-aux-Bouleaux. Un silence de plomb, partout. À certains moments, on entendait seulement un criquet qui, dans le parterre, près d’une touffe de « vieux garçon », faisait aller ses pattes comme une bombarde ; ça faisait un bruit qui marchait bien avec celui des broches d’Ernestine qui tricotait une paire de bas. Mais, plus loin, du côté de l’eau, il y avait les grenouilles, les crapauds et les wawarons qui se mirent à faire un concert de possédés. On aurait dit qu’ils étaient