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la baie

fille qui aimait la vie d’habitant et qui était solide. C’est vrai qu’elle s’est amourachée d’un gas qui était pas de notre condition et qui ferait malaisément un habitant. Mais, des fois ! On sait jamais. Si on leur offrait de venir prendre la terre avec nous autres ! La terre leur reviendrait, hein ? Qu’est-ce que tu dis de ça, sa mère ? »

Ernestine ne répondit pas d’abord, et elle finit par dire :

« Ça a du bon sens, sais-tu, ce que tu viens de dire. Jeanne continuerait de m’aider et je la mettrais surtout au jardinage, elle aimait tant ça, et Camille, malgré qu’il soit un gas de moulin, viendrait peut-être à s’adonner au travail de la terre… Mais, mon Dieu ! tu sais que ces travaux-là, ça fait peur à ces jeunesses. J’ai dans mon idée, mon vieux, que ton projet réussira pas. Mais, tu sais, tu peux l’essayer quand même si tu veux ».

Nous avons discuté mon idée longtemps et le criquet avait fini de battre ses pattes en-dessous de sa touffe de « vieux garçon » quand on s’en est allé se coucher. On était joyeux tous les deux à ce moment-là et il nous sembla, en entrant dans la maison, que tout avait pris un autre air. On voyait déjà notre fille occupée au train du lendemain et son mari pensant à apprendre ce qu’il fallait faire pour la terre ; on s’imaginait qu’il s’était déjà fait vite à sa besogne nouvelle qu’il aimait. Et quand on s’est endormi enfin, on n’aurait pas été fâché le moins du monde d’être réveillé par les cris des marmousailles qui ont des coliques, qui font leurs dents ou qui ont faim.

Je veux croire aujourd’hui que c’est un rêve qu’on a fait cette nuit-là. On essaya de faire, en mettant mon idée en pratique, que c’en était pas un, de rêve ; mais ce fut peine perdue. Jeanne vint se promener chez nous quelques jours après et on lui a confié notre projet. Elle a répondu tout simple-