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la baie

Saint-Alexis et de cette belle paroisse de Saint-Alphonse qui s’étendait de l’autre côté de la Rivière-à-Mars on ne voyait autrefois que du bois avec des petites clairières de trois ou quatre arpents carrés qui étaient le commencement de nos terres. La terre était bonne et riche tout alentour de la Baie et nos lots quasiment tout défrichés et qui n’étaient pas appauvris par de trop longues cultures, produisaient sans bon sens. On envoyait, chaque automne, à Québec, des quantités de grains, de foin, de patates, des volailles et du bétail. On s’était mis à l’industrie laitière et on vendait aussi beaucoup de fromage et de beurre. On comptait déjà quatre fromageries et une beurrerie dans la Baie. Le fromage se vendait quatre à cinq sous la livre, et le beurre dix à douze. Et c’était du bel argent comptant qu’on recevait, chaque mois, pour ces produits.

L’hiver, on continuait de faire du bois que l’on pouvait toujours vendre facilement aux Price ; et c’était encore, au printemps, de l’argent. Et malgré tout ça, le croirez-vous, on souffrait encore de la maladie maudite des États-Unis. Des familles entières même partaient, à chaque saison, de Saint-Alexis et de Saint-Alphonse, pour s’en aller travailler dans les facteries du Maine ou du Vermont. J’ai jamais compris cette maladie-là, moi, surtout quand les steamboats de la Richelieu nous rendaient la vie si plaisante.

Mais, n’importe, ce qui faisait le bien-aise des habitants de la Baie en général, devait achever mon malheur.

On pense si l’arrivée des bateaux qui communiquaient avec les grandes villes avait émoussé mon Joseph. Il en guettait tout le temps l’arrivée et aussitôt que de chez nous il en voyait un apparaître au Bras du Saguenay, qui était l’entrée de la Baie, vite, que ce fut au fort des foins ou en plein dans les récoltes, il lâchait tout là, pour se rendre au quai de Saint-