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lées, par exemple, on m’a dit que c’est lui qui « callait » toujours les danses carrées. Et s’il faisait une proposition de pique-nique ou d’un autre amusement, elle était acceptée d’avance. Comme j’aurais voulu qu’il eut été le coq sur ma terre !

« Joseph », que je lui dis, « t’es un grand sans-cœur, ni plus ni moins. T’as vu, aujourd’hui, les voisins travailler chez nous, à faire les foins ; tu sais à cause de quoi ? C’est par rapport à toi, tout bonnement. Pendant qu’on suait, t’étais couché et tu te reposais de ta veillée et de toutes tes extravagances. Et c’est comme ça, asteur, tous les jours. Une veillée n’attend pas l’autre ; et pendant ce temps-là je me morfonds au labour, aux foins, aux récoltes, à la terre neuve qui reste à faire, et aux autres ouvrages de la terre, tout seul avec ta pauvre mère qui se crève à travailler… Non, mais, es-tu assez sans-cœur ? Et voilà que les voisins se mettent à avoir pitié de nous autres ! Il est vrai que sans ça tout irait au diable. Ils savent bien, eux, que t’es un bon à rien. Mais vas-tu avoir honte à la fin des fins ? As-tu l’intention de faire ce train-là toute ta vie ? Je m’éreinte pour te faire vivre et ta mère aussi ; as-tu un cœur dans le ventre ou si tu n’en as pas ? Vas-tu me dire à la fin ce que tu veux faire ? Rester avec nous autres ou bien avoir ta part et t’en aller ? Si tu veux partir, vas-t’en, j’aime mieux ça ; je saurai à quoi m’en tenir et je ferai plus vite mon sacrifice. Mais dis, enfin, ce que tu veux. Je peux quasiment pas croire que tu vas, comme ça, avoir le cœur, de laisser crever ton père et ta mère pour les beaux yeux, par exemple, d’une dévergondée ; il y a un bout à la fin ! Tu m’as fait rougir de honte aujourd’hui et je veux pas que ça se renouvelle, entends-tu ? »

Je lui en ai conté comme ça pendant près d’une demi-heure. Pendant ce temps-là sa mère pleurait dans un coin de la cuisine, et moi, j’avais toutes les