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la baie

D’ailleurs, j’étais trop vieux et, ensuite, je commençais à me sentir souvent des rhumatismes. Voyez-vous on ne mène pas des vies de travail comme la mienne sans qu’il en coûte quelque chose. On devient vieux souvent avant le temps. À soixante ans on se sent bon à rien et on aime à rester à la maison. On se fait dodicher : une tisane par ici et une emplâtre par là. Au moindre petit bobo, on prend le lit. Ah ! si j’avais été plus jeune seulement de quinze ans, le départ de mon garçon m’aurait plus ou moins chagriné parce que j’aurais pu mener la terre assez longtemps, et ç’aurait été une consolation pour moi.

Vous pensez si le temps des fêtes fut ennuyant pour nous autres. Noël, le jour de l’An, les Rois on passa ces beaux jour-là quasiment tout seuls à penser aux fêtes d’autrefois si plaisantes avec leurs bons gros repas de famille et leurs belles veillées. Alors, il venait de nos parents des paroisses de Charlevoix sur la glace, par le Saguenay. Mais ils étaient presque tous disparus, l’année que Joseph est parti, et ceux qui restaient encore étaient trop vieux pour faire le voyage de la Baie.

Au jour de l’An cependant, Jeanne et son mari sont venus passer la journée avec nous autres. Ils sont repartis tout de suite le lendemain vu que Camille ne pouvait pas laisser plus longtemps à cause de son ouvrage aux moulins. Ce jour-là, on a reçu une lettre de Joseph, le croirez-vous, la première depuis qu’il était parti. Il nous disait qu’il était bien et qu’il travaillait mais depuis un mois seulement. Fallait s’attendre à ça. Mais il ne nous disait pas, par exemple, combien ça lui rapportait l’ouvrage qu’il faisait, il nous l’a jamais dit. Pour ses étrennes, je lui ai envoyé dix piastres ; je pouvais pas faire plus. M’est avis que ça devait être de ça dont il avait le plus besoin. Par exemple, il en a jamais demandé ; il était trop orgueilleux pour ça. J’ai jamais su combien il gagnait, mais je suis certain d’après le ton de