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la baie

cette maison de paix, il fit le récit que nous venons de reproduire aussi fidèlement que notre mémoire, moins fidèle que la sienne, nous le permet.

À plusieurs reprises, le pauvre vieux, dévidant ainsi l’écheveau de ses souvenirs, ne put s’empêcher de retenir de grosses larmes qui descendaient, rondes et claires, le long de sa barbe embroussaillée, particulièrement au rappel du souvenir de son pauvre petit Arthur que lui avaient si tristement pris les flots de la Rivière-à-Mars ; il pleura également à l’évocation d’un dernier appel de sa chère terre si durement travaillée, la terre de son père conquise au prix de tant de sacrifices, et qu’il lui avait fallu vendre pour une bouchée de pain faute des forces nécessaires pour continuer à la cultiver et afin de s’épargner le déshonneur de dettes non payées que le départ de son aîné lui avait fait contracter. Et il pleura encore au souvenir de sa brave Nestine, morte de fatigue et de peine, et d’ennui de ses deux fils, l’un qui l’attendait au ciel et l’autre qui l’avait si cruellement délaissée sur la terre.

Pour lui, il allait mourir bientôt au seuil de sa quatre-vingt-dixième année, le cœur ulcéré par l’ingratitude d’un enfant qui ne lui avait pas permis de continuer dans sa descendance l’œuvre sublime de son père, fondateur d’un royaume agraire, premier laboureur d’un pays qui allait être appelé le « grenier de la province de Québec » à cause de la richesse et de la beauté de ses céréales. De la honte ou de la tristesse lui venait, suivant que son esprit allait vers l’aîné qui avait jeté le déshonneur sur lui ou vers le cadet, enfant soumis et amoureux de la terre, dont la mort l’a empêché, de jouir de l’aisance acquise et de se reposer un peu après tant de travail et de misère.

Et les derniers mots du récit du vieux furent :