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LA RIVIÈRE-À-MARS

le soleil crible de ses brillants le bleu de l’eau. Et aux tournants de la rivière que la goélette laisse derrière elle, on voit papilloter, sur la fuite des eaux moirées, des alternances d’ombres et de lumières.

La goélette porte vingt-sept hommes, la femme d’Alexis Picoté et ses jeunes fils. Tous se laissent emporter, apparemment insouciants, vers leur destin. La plupart, assis ou à demi couchés sur le pont, blaguent, fument, se communiquent leurs impressions du moment, dissimulent leurs espoirs à travers des hâbleries, ou bien évoquent ce qu’ils ont quitté voilà déjà près d’une semaine : la femme, les enfants, les amis, le village, l’église, tout ce qui fait si mélancoliquement vibrer l’âme quand, éloigné, on y pense trop. Quand reverra-t-on tout cela ? Pour plusieurs, jamais !

Quelques-uns de ces hommes n’ont pas encore de leur vie perdu de vue le clocher de la paroisse. Ils savent qu’ils s’en vont pour des mois, des années, pour toujours peut-être, dans des solitudes absolues, loin de tout, de tout ce qui peut nourrir le cœur et l’âme, de tout ce qui est nécessaire à la vie matérielle de tous les jours. Ils n’ignorent pas non plus les dangers qu’ils courent : la mala-