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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/209

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LE FRANÇAIS

nant vers son ami qu’il fixa de tous ses yeux comme s’il allait prononcer des paroles d’une gravité exceptionnelle, il continua :

« C’est vrai que nous autres, les pères, nous avons, des fois, de la peine devant ces envies de nos garçons qui pensent à nous laisser tout fin seuls sur nos terres, pour s’en aller dans les villes. Tu sais c’que c’est toi, de perdre un garçon, pauvre Jean-Baptiste ! Oui, nos garçons nous laissent, comme ça, trop souvent, et il nous faut nous faire aider ensuite. On engage, comme de raison, ceux qui se présentent ; prenons garde à ça ! Moi, j’ai des idées de c’côté-là, et j’pense qu’il vaut mieux faire des sacrifices, par exemple, pas agrandir sa terre autant qu’on voudrait, pour pouvoir la cultiver seul. Tu sais, Jean-Baptiste, c’que j’veux dire et tu m’comprends, hein ?… Quand j’pense qu’t’as à te débattre en même temps contre ton Larivé qui veut avoir ta terre, et contre ce Français qui me paraît qu’il veut ta fille et ensuite ta terre, lui aussi, et qu’t’as pas d’garçon pour t’aider… je plains ton sort, vas !… Mais prends garde, à ta place, moi, j’ferais des sacrifices… T’as entendu, l’autre jour, sur le bateau, le Frère Moffet qui nous contait l’histoire des commencements d’nos terres d’ici ; j’étais fier, vas ! Quelles misères pour ouvrir c’pays ! Pour lors, gardons-le pour nous autres, quoi ! Non, mais s’il faut, asteur qu’nos filles s’mettent à donner nos terres, comme ça, aux premiers valtreux qui viennent !…

André Duval s’interrompit à cette pensée suffocante qu’il ne put achever d’exprimer. Pour faire taire