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LE FRANÇAIS

qui demanderont plus de soins. Et tout ça aura coûté des mois d’ennui et de misères, au fond des bois, « enterré » dans la neige. Non, mais quelle vie, quelle vie, Seigneur !

— Et tu penses toujours, Jacques, que la vie des villes est plus agréable ?

— Je connais les deux, Marguerite, et il n’y a pas de comparaison à faire.

Parce qu’il avait fait, de temps à autre, quelques courts voyages à Montréal, à Ottawa, et dans quelques petites villes de l’Ontario, Jacques Duval s’amusait à se convaincre et à convaincre les autres qu’il connaissait à la perfection cette vie des villes pour laquelle il n’avait jamais assez d’enthousiasme. Comme tous les campagnards, avant le déracinement, il ne voyait cette vie qu’à travers le prisme des plaisirs et, de ce côté, tout lui parlait d’une existence facile. Il ne s’était jamais mis dans la tête d’étudier le côté pratique et désenchanteur. Comme l’on ne peut calculer combien il faut qu’il y ait d’hommes qui tombent sur les champs de bataille ou meurent dans les hôpitaux avant qu’un soldat devienne maréchal, Jacques Duval ne voulait pas se demander combien de campagnards doivent pâtir, lutter, mourir de misère dans les villes pour que l’un d’eux finisse par faire fortune. Il ne voulait pas penser à ceux qui, partis de leur village, le pied leste, le cœur rayonnant, ont tendu la main, le soir, ont travaillé à des métiers inavouables, ont eu faim et ont poussé leur dernier soupir dans la salle des pauvres d’un hôpital.