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LE FRANÇAIS

mon vieux Bob d’il y a quelques années, ah ! y a ben d’ça vingt-cinq ans. Quel cheval !… »

L’assistance prévit une histoire et ce fut Léon Lambert qui la provoqua à la satisfaction générale. De toute façon, le Français cherchait à s’initier à sa nouvelle vie ; il écoutait et observait sans cesse de toutes les lumières de ses yeux et de tout le battant de ses oreilles. Il demanda au vieux :

« Et votre Bob, père Moïse, qu’est-ce qu’il a donc fait de si extraordinaire ? »

— Hum !… rien… rien… Vous savez, un jour, j’ai manqué l’tuer, mon Bob…

— Ah ! firent plusieurs voix.

Les vieux et les jeunes se tassèrent dans le coin où se tenait l’ancêtre et il se fit un grand silence dans la pièce.

Le buste droit comme une souche de tremble, le visage aminci et ridé, sous les mèches de ses cheveux tout blancs, le père Moïse souriait et semblait fier de l’intérêt qu’il provoquait. Tirant d’une poche de sa veste de laine un court brûle-gueule de plâtre noir comme un charbon d’abatis, il le bourra dans une vessie de porc pleine de tabac vert, l’alluma et, tirant coup sur coup, quelque bouffées, il commença :

« Oui, une fois, mes enfants, j’ai voulu tuer mon Bob. Il faut vous dire que Bob, c’est l’cheval qui m’a aidé à ouvrir la terre qu’est, asteur, à Camille… »

La voix du vieillard quelque peu altérée, chevrotante, avait des soubresauts bizarres, irrésistibles, com-